Egalité femmes-hommes en entreprises : la loi Rixain s'attaque au portefeuille des sociétés

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Le constat est alarmant : aujourd’hui, seulement trois femmes dirigent, ou sont sur le point de diriger, une entreprise du CAC 40, à savoir, Engie, Veolia et Orange. Directrices générales, elles ne cumulent cependant pas leur poste avec des fonctions de présidente, contrairement à un grand nombre de leurs homologues masculins. 

Plus de dix ans après l’adoption de la loi dite Copé-Zimmermann, l’accès des femmes aux plus hautes fonctions du monde de l’entreprise reste loin d’être aisé. Le législateur a donc dû hausser le ton en adoptant une nouvelle loi, dite Rixain, du 24 décembre 2021, qui pourrait s’avérer d’une redoutable efficacité tant elle est pragmatique.

Elle s’attaque en effet directement au financement des entreprises en conditionnant le soutien financier de la Banque Publique d’Investissement (Bpifrance) au respect, par l’entreprise concernée, de son obligation de publication d’un index indiquant les écarts de rémunérations entre hommes et femmes, et des actions mises en œuvre par ladite entreprise pour les supprimer. Ce faisant, toute entreprise qui ne se soumettrait pas à ses obligations en matière de parité se verra exclue du bénéfice des financements de Bpifrance. A contrario, les entreprises considérées comme vertueuses verront l’obtention de leur financement facilitée puisque la loi Rixain donne à Bpifrance la mission générale d’apporter « son soutien aux entreprises engagées en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ». Elle devient ainsi le bras armé de l’état pour favoriser la parité en entreprise.

En effet, l’accès aux financements constitue l’un des principaux freins à l’entrepreneuriat féminin. Seul 2% des fonds levés sur les dix dernières années l’ont été par des entreprises dirigées par des femmes, alors même qu’elles représentent 52% de la population française et 30% des créateurs d’entreprises.

Bpifrance fait en outre l’objet d’une féminisation accélérée puisque ses comités d’investissements seront recomposés pour que chaque sexe dispose d’au moins 30% des postes. Le législateur part ainsi du postulat qu’une augmentation de la présence féminine au sein de Bpifrance permettra une augmentation des financements accordés aux entreprises créées par des femmes.

En s’appuyant sur Bpifrance, qui a injecté plus de 50 milliards d’euros dans les entreprises pour la seule année 2021, l’Etat utilise un puissant relais dont nous avons toutes les raisons de penser qu’il sera efficace car, on le sait, l’argent est le nerf de la guerre.

La loi Rixain touche également au portefeuille des entreprises mais cette fois-ci en les sanctionnant financièrement. En effet, la mesure phare de la loi tend à imposer aux entreprises employant 1000 salariés et plus, de féminiser leurs instances dirigeantes. Concrètement, les Comex, Codir et autres instances dirigeantes devront être composés de 30% de femmes en 2026, puis 40% en 2029. Les entreprises ne respectant pas ces obligations seront sanctionnées d’une pénalité financière pouvant aller jusqu’à 1% de leur masse salariale (article L.1142-12 al.1er du Code du travail).

Le législateur a ainsi identifié les lacunes de la loi Copé-Zimmermann, qui se contentait de sanctionner les entreprises récalcitrantes d’une hypothétique action en nullité dirigée contre leurs délibérations. Cette sanction nous semble dissuasive, puisque sont concernées des entreprises de plus de 1000 salariés, pour autant que la masse salariale prise en compte pour le calcul de l’amende soit celle du groupe et non seulement de la holding animatrice. L’étude du décret d’application à paraître pourra vraisemblablement nous éclairer sur le sujet.

Il faut toutefois relever que cette sanction reste très progressive puisque l’entreprise qui contreviendrait aux mesures prescrites par la loi devra, dans un premier temps, publier des objectifs de progression puis, dans un second temps, se mettre en conformité. Le calendrier de mise œuvre est d’ailleurs lui-même très long, la loi prévoyant différentes étapes pour son entrée en vigueur. Les entreprises auront dès 2022 l’obligation de publier des écarts de représentation femmes-hommes dans les instances dirigeantes, lesquels seront rendus publics à compter de 2023. C’est seulement à partir de 2029 qu’une sanction financière pourra être prise envers une entreprise pour non-respect des quotas.

Marie-Pierre Rixain nous précise néanmoins que le but de la loi n’est pas de punir, mais « d’accompagner un mouvement qui va dans le sens de l’histoire ». Il s’agit de lever un certain nombre d’obstacles susceptibles de dissuader les femmes de choisir la voie de l’entrepreneuriat. C’est un fait, les femmes se pensent souvent illégitimes à créer leur propre entreprise. En facilitant le financement et l’émergence de modèles féminins, la loi tente de forcer les mentalités et de donner aux femmes les moyens et la confiance nécessaires pour s’accomplir.

Kévin Flochlay, Avocat et Pauline Tagawa, Élève-avocat, Cohen Amir-Aslani