Pas de grève dure des sage-femmes sans service minimum

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Voilà ce qu’a jugé le tribunal administratif de Rennes par deux ordonnances consécutives des 7 et 13 janvier 2022, opposant des sages femmes à la préfecture du Finistère. Précisément, un préavis de grève dure avait été déposé le 29 décembre 2021 auprès d’une maternité de niveau II, pour une durée illimitée, à compter du 3 janvier 2022, présentant le risque d’une mise à l’arrêt total du service. Le préfet est intervenu pour réquisitionner les sage-femmes, une première fois par une décision du 3 janvier 2022 et une seconde fois par une décision du 10 janvier 2022. C’est dans le contexte de ce mouvement social difficile que le tribunal administratif de RENNES a été saisi pour statuer sur le nécessaire service minimum des sages femmes du secteur privé.

I - Le droit de grève est une liberté fondamentale qui connaît des limites

Si le droit de grève est une liberté fondamentale reconnue comme telle, elle est aussi une liberté limitée ainsi que le préambule de la Constitution de 1946 le prévoit en indiquant que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le règlementent ». Cette limite légale a été validée par le Conseil Constitutionnel. Elle est également reconnue par le Conseil d’Etat

Par l’article L. 2215-1-4° du code général des collectivités territoriale, le législateur habilite le préfet, en cas d’urgence, à adopter une mesure de réquisition à l’encontre de salariés de droit privé ou agents de droit public en situation de grève dans un établissement de santé. C’est ce qu’a été contraint de faire le préfet du Finistère dans ces deux dossiers.

Cependant, dès l’adoption des décisions, des sage-femmes ont saisi dans le juge d’un référé liberté afin de tenter de contrer ces mesures. En pareilles circonstances, lorsqu’une liberté fondamentale est en cause, c’est le juge des référés du tribunal administratif qui est compétent pour statuer en urgence dans un délai de 48 heures, en application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. 

II - Le juge du référé liberté saisi d’une réquisition préfectorale dispose de 48 heures pour en contrôler la proportionnalité

La réquisition préfectorale est régulière si elle intervient, d’une part, pour assurer le maintien d’un effectif suffisant pour garantir la sécurité des patients et d’autre part, en l’absence de redéploiement possible des patients vers un autre établissement du même secteur géographique. Ces deux conditions cumulatives ont été dégagées par le Conseil d’Etat dans une décision du 9 décembre 2003 qui concernait précisément une maternité.

Elles ont été examinées par le juge des référés du tribunal administratif de Rennes les 7 et 13 janvier dernier. 

Rappelant ce principe, l’examen du juge a porté sur l’effectif suffisant et le redéploiement géographique.

III - Le juge contrôle si la réquisition permet de maintenir un effectif suffisant pour garantir la sécurité des patients

Réquisitionner l’essentiel de l’effectif du personnel gréviste est possible et régulier si la réquisition permet d’assurer un effectif suffisant pour garantir le service minimum. L’effectif suffisant correspondant à l’effectif indispensable pour assurer la continuité du service et donc le service minimum et ce, même s’il correspond (dans certains cas) à la totalité de l’effectif de l’établissement.

Pour les maternités, le service minimum se déduit de l’article D. 6124-44 du code de la santé publique qui fixe l’effectif minimal requis dans une maternité en fonction du nombre de naissances annuel. Le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a d’ailleurs reconnu cet article comme la référence pour déterminer le service minimum. Concrètement, le contrôle du juge a porté sur les plannings hors période de réquisition et pendant la période de réquisition, qui constituent un élément clef, afin de déterminer si l’effectif requis correspondait à l’effectif nécessaire pour garantir la sécurité des patientes. Après avoir constaté que le préfet avait réquisitionné la totalité des sage-femmes se déclarant grévistes qui étaient initialement prévues sur ce planning, il a jugé « d’une part que le nombre d’agents réquisitionnés permet de couvrir les besoins en personnel nécessaires pour assurer le service minimum prévu par les dispositions de l’article D. 6124-44 du code de la santé publique eu égard au nombre d’accouchement annuels que la polyclinique pratique de l’ordre de 1800, d’autre part que chacun des agents n’est requis qu’une à deux fois au cours de la période restant en litige du 7 janvier 2022 au 10 janvier 2022 ». C’est un contrôle de proportionnalité effectué par rapport au besoin nécessaire et minimum du service, pour lequel les plannings constituent des pièces importantes.

Dans l’ordonnance du 13 janvier 2022 le contrôle de proportionnalité effectué par le juge est clair, ce dernier indique qu’ « il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que les effectifs réquisitionnés et le planning annexé permettent de couvrir les besoins en personnel présent en permanence au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour assurer le service minimum prévu par les dispositions de l’article D.6124-44 du code de la santé publique ».

IV - Le juge contrôle les possibilités de redéploiement des patientes sur le territoire

C’est en principe au demandeur de démontrer que la réquisition est irrégulière et que les mesures de redéploiement n’ont pas été suffisantes ou suffisamment étudiées. L’argument consistant à se prévaloir de la présence d’autres maternités sur le secteur géographique, s’il est important, n’est pas suffisant à lui seul pour provoquer l’adoption d’une mesure de sauvegarde par le juge contre la réquisition. De même, les possibilités de transférer certaines patientes ne constitue pas un élément suffisant pour démontrer l’irrégularité de la réquisition. Les solutions de redéploiement possibles doivent être réelles et correspondre à la capacité et le niveau (I, II ou III) de la maternité en grève. Transférer une ou deux patientes vers un autre établissement du secteur ne permet pas d’établir que les solutions de redéploiement sont réelles et suffisantes. En pareilles circonstances, la réquisition reste justifiée.

Dans l’ordonnance du 13 janvier 2022, le juge indique sur ce point que « les seules circonstances que les sage-femmes du centre hospitalier universitaire de B n’auraient pas été en grève du 3 au 10 janvier 2022 et que deux patientes devant en principe accoucher à la polyclinique de A auraient été transférées sans difficulté notable vers les maternités de L et M au cour de cette même semaine, ne sauraient suffire à sérieusement contester et remettre en cause les difficultés, relevées par l’arrêté en litige, s’agissant de la prise en charge, en tout ou partie de l’activité de la polyclinique de A par les autres établissements situés dans ce secteur géographique. Ces circonstances ne sont pas davantage de nature à sérieusement contester les risques avancés en termes de sécurité des patients et de continuité des soins assurés par la polyclinique de A (…) ». C’est donc une appréciation globale de la faisabilité, en toute sécurité, du redéploiement à laquelle le juge s’est prêté.

Service minimum et redéploiement sont les deux critères sur lesquels le contrôle du juge repose et qui doivent constituer les deux volets de la motivation des décisions de réquisition. Pour les établissements sollicitant le préfet dans cette perspective, il est indispensable de bien faire apparaître ces deux points dans la demande pour sécuriser le processus. 

Angélique Eyrignoux, Associée, Edgar avocats