Lanceurs d’alerte : il est urgent d’harmoniser les pratiques en Europe

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Des dernières révélations sur Facebook par Frances Haugen en passant par les révélations d'Edward Snowden, de plus en plus de salariés rendent publiques des informations confidentielles qu’ils estiment utiles à l'intérêt général. Le fonctionnement de nos Démocraties et d’une économie de marché autorégulée doivent intégrer ces nouveaux processus d’alerte. Or la transposition de la directive que le Parlement européen a adoptée sur la protection des lanceurs d’alerte le 16 décembre 2019, et qui devait être transposée au plus tard le 17 décembre 2021, se fait attendre dans la quasi-totalité des états membres. 

Un enjeu crucial d’harmonisation de la protection des lanceurs d’alerte au sein des états membres

Face à une absence de protection uniforme des lanceurs d’alerte au sein des États membres de l’Union européenne, l’un des enjeux de la Directive est d’harmoniser les statuts. La directive contient de nombreuses dispositions qui combleront d’importantes lacunes en matière de protection dans la plupart des États membres. Celle-ci permet de protéger les lanceurs d'alertes des représailles lorsqu’ils dénoncent une violation du droit communautaire dans un des dix domaines visés par la directive.

Sont notamment prévues la création de canaux de signalement au sein des entités du secteur privé de plus de 50 salariés et de l’ensemble des entités du secteur public, ainsi que des mesures de soutien et de protection contre les représailles (suspension, rétrogradation ou intimidation) pour les lanceurs d’alerte et les personnes qui leur viennent en aide.

La totalité des états membres en retard sur la transposition de la directive

Aucun État membre de l’UE n’a respecté le délai pour la transposition de la directive sur les lanceurs d’alerte. Si le processus de transposition est actuellement en cours pour 24 États membres sur 27, seuls le Danemark, la Suède, le Portugal, la Lituanie et Malte ont achevé la transposition de la directive, avec l’adoption d’une loi sur la protection des lanceurs d’alerte. La Hongrie, le Luxembourg et Chypre n’ont pas encore commencé le processus.

Or il est urgent d’intégrer ces nouveaux processus dans les droits nationaux. Prenons le cas de la Belgique où il n'existe pas de cadre global en matière de lanceur d’alerte. Seuls deux régimes spécifiques de dénonciation pour le secteur privé existent : le secteur financier (procédure interne d'alerte, procédure confidentielle, protection contre les représailles) et le blanchiment d'argent (procédure d'alerte interne, protection contre les représailles). 

Une possibilité inédite d’une réflexion sur les améliorations à apporter au dispositif français

La France a été l’un des premiers pays à se doter d’un cadre législatif en 2016, avec la loi Sapin II. Ce texte répondait alors à la volonté d’aligner la législation française sur des standards internationaux tels que le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) aux Etats-Unis et le Bribery Act au Royaume-Uni.

La loi Sapin II a posé un socle commun aux lanceurs d’alerte et créé deux dispositifs : un dispositif général de signalement d’alerte et un second spécifique à la lutte anti-corruption avec la création d’une Agence Française Anticorruption « l’AFA ». Ces dispositions ont largement inspiré la directive que le Parlement européen a adoptée.

Malgré un manque de recul depuis la mise en œuvre de la loi Sapin II, la majorité des décisions de justice rendues ont été plutôt favorables aux lanceurs d'alerte mais la loi demeure insuffisante au regard de la directive européenne. D’où le projet actuel de proposition de réforme du cadre des lanceurs d'alerte en France, qui progresse lentement au Parlement. Celle-ci a fait l'objet de trois séries d'auditions parlementaires avant qu'un avis officiel ne soit rendu le 10 novembre 2021. L’Assemblée nationale a ensuite donné un premier feu vert unanime le 17 novembre 2021. La proposition de loi est désormais soumise au vote du Sénat et a été examinée les 19 et 20 janvier 2022.

De plus, dans un récent communiqué de presse, le Défenseur des droits a invité les sénateurs à maintenir les avancées de la proposition de loi votée par les députés et attire l'attention sur plusieurs modifications problématiques du texte : une nouvelle définition de l’alerte qui fragilise le régime de protection ; les personnes morales sorties du régime de protection des lanceurs d'alerte ; la remise en cause des aides financières.

Le sentiment d’urgence autour de la transposition ne doit pas amener la France à adopter une législation imparfaite et minimaliste. La commission mixte paritaire du Parlement français s’est enfin mise d’accord un texte, adopté par les députés le 8 février dernier. La dernière étape aura lieu au Sénat ce 16 février 2022. Saisissons cette opportunité pour adopter définitivement une nouvelle législation nationale complète qui réponde aux principes des meilleures pratiques internationales !

Claire le Touzé, Avocate en Droit Social chez Simmons & Simmons