Justice sans moyens, citoyens sans Justice

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Tribune d'Olivier Cousi, bâtonnier de Paris, Julie Couturier, bâtonnière élue de Paris, Vincent Nioré, vice-bâtonnier élu de Paris ainsi que l’ensemble du Conseil de l’Ordre de Paris en réponse à la tribune de la Conférence des premiers présidents de cour d’appel publiée la semaine dernière dans l’Obs.

« Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise » estimait Jean Monnet. Cinquante ans plus tard, impossible de lui donner tort, tant la crise sanitaire de la Covid-19 a révélé les conditions de travail extrêmement difficiles et dégradées des personnels soignants et le fait que nous étions tous victimes des besoins insatisfaits du secteur public de la santé. C’est par la crise que les moyens sont advenus et nous ne pouvons que nous en réjouir.

Mais le sanitaire n’est qu’une face de cette crise protéiforme. Dans le contexte de tension sociale et de crise économique que nous connaissons, le dénuement de nos institutions judiciaires pourrait si l’on n’y prend pas garde et si l’on ne prend pas des mesures urgentes de sauvetage, aboutir à une crise démocratique dont les premiers symptômes se font déjà sentir. A l’image de la santé, la justice vit une crise sans précédent qu’il faut regarder en face, sans concession, ni tabou si l’on souhaite améliorer durablement son fonctionnement.

Dans une tribune signée par les premiers présidents de cour d’appel, les magistrats ont tiré une nouvelle fois et à juste titre la sonnette d’alarme. Leurs inquiétudes, le Conseil de l’Ordre du Barreau de Paris les partage profondément. Nous considérons qu’il est plus nécessaire que jamais d’unir nos voix pour défendre l’institution judiciaire et avec elle l’Etat de droit.

Pour cette raison nous appelons à une réflexion ambitieuse, publique et partagée. Nous nous engageons donc à organiser des assises où se retrouveront avocats, magistrats et greffiers d’ici la fin de l’année 2021. Ensemble, autour de la table, nous aurons l’occasion, fidèles à la méthode de Jean Monnet, de tirer les enseignements de la crise et de défendre les changements nécessaires au déploiement d’une justice à la fois de proximité et enfin respectée.

Cette réflexion ne saurait ignorer les premiers jalons posés par le gouvernement. L’augmentation de 8% du budget de la Justice cette année doit être saluée mais ne peut suffire : l’évidence de la pauvreté de notre justice ne se plaide pas. Elle se constate et se déplore.

Comment expliquer qu’un salarié qui porte son litige en Justice doive attendre près de cinq ans pour obtenir une décision en appel ? Comment admettre qu’il faille attendre plus de deux ans pour obtenir un jugement de divorce ? Le résultat c’est un jugement sans appel : parce que la justice manque de moyen financier et humain plus de la moitié des Français estiment que les juges ne sont pas efficaces[1].

Face à cette « faillite française », les diverses réformes menées ces dernières années se sont révélées inefficaces. Affichant quelques velléités de simplification, elles ont en pratique complexifié les procédures et rendu le parcours judiciaire toujours plus difficile et incertain. Cette situation génère de nombreux dysfonctionnements. Elle engendre d’une part, le stress croissant des professionnels de l’institution judiciaire. Et d’autre part, transforme les justiciables en victimes de procédures interminables.

La situation est telle qu’il devient délicat de continuer d’espérer en une justice qui, à l’évidence, peut de moins en moins bien remplir son rôle essentiel de pacification sociale. Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire est à ce titre arrivé au bon moment, au bon endroit et nous nous réjouissons qu’un certain nombre de propositions de la profession aient été prises en compte.

Car oui, il est temps pour l’Etat de donner aux Français les moyens de croire en leur Justice. Cette année, le nombre d’inscrits au concours d’accès à la magistrature a battu tous les records tandis que l’Ecole de Formation des Barreaux (EFB) a presque dû pousser ses murs pour accueillir les élèves-avocats (+ 12 % d’élèves en un an sur tout le territoire). Preuve s’il le fallait que la jeune garde est là, prête à se mettre au service de la Justice, prête à conduire les changements qui redonneront, enfin, confiance dans l’institution judiciaire.

Olivier Cousi, bâtonnier de Paris

Julie Couturier, bâtonnière élue de Paris

Vincent Nioré, vice-bâtonnier élu de Paris

Le Conseil de l’Ordre de Paris

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[1] Source Odoxa-Backbone Consulting pour le Figaro 28/05/2020