Blanchiment et association de malfaiteurs : une incompatibilité juridique

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Il y a incompatibilité entre la qualification d’association de malfaiteurs et le blanchiment, lorsque les faits procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable. Tel est le principal enseignement qui se dégage de la décision de la chambre criminelle rendue le 2 décembre 2020 (18-81. 490 19-87. 429).

Sommairement brossés, les faits ayant donné lieu à cet arrêt sont les suivants : le 20 mars 2014, les services de police sont informés de l'existence d'une organisation ayant pour objet un trafic international de stupéfiants, assurant l'importation d'importantes quantités de résine de cannabis du Maroc, notamment vers l'Est de la France. Une information est ouverte et des surveillances sont mises en place. Celles-ci permettent d'établir la présence, à trois reprises, de M. T.… aux côtés de deux autres personnes identifiées, en train de collecter des fonds. L'un d'entre eux, interpellé en possession de 522 520 euros, détient à son domicile en Allemagne des comptes détaillés pour les années 2013 à 2016 qui révèlent la collecte de plus de 60 millions d'euros, dont une partie sur le territoire français. M. T.… est arrêté le 13 mars 2017. La somme de 381 790 euros est saisie à son domicile, ainsi que 40 g de cannabis.

Condamné pour blanchiment de trafic de stupéfiants et de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation de cette même infraction, le prévenu fait pourvoi en cassation. En cassant l’arrêt objet de pourvoi, la cour de cassation a reproché à l’arrêt d’appel de retenir le délit d'association de malfaiteurs, en visant des faits distincts de ceux retenus pour caractériser le délit de blanchiment, alors que les deux infractions concernent le même réseau, au cours de la même période. Elle affirme que lorsque l’association de malfaiteurs et le blanchiment correspondent à une action unique caractérisée par une seule intention coupable, seule la qualification de blanchiment peut être retenue.

Cet arrêt est instructif à plus d’un titre. D’une part, il affirme, à raison, le caractère absorbant du blanchiment de l’association des malfaiteurs mais il ne va pas au bout de son raisonnement pour préciser que l’association de malfaiteurs aurait dû constituer, en l’espèce, une circonstance aggravante du blanchiment.

Le caractère absorbant du blanchiment de l’association de malfaiteurs

Nous savons qu’historiquement l’association de malfaiteurs, à savoir toute entente ou groupement caractérisé par des actes matériels, a été érigée par le législateur en infraction autonome pour pallier l’insuffisance de l’application des règles régissant la complicité, qui aboutissait à l’impunité de la tentative de complicité en l’absence d’une infraction principale (la célèbre affaire Lacour). Ce rappel historique nous permet de comprendre la place et la nature de cette incrimination. 

En tant qu’infraction obstacle – qui est constituée par des actes matériels n’ayant pas, par eux-mêmes, une signification pénale – cette infraction peut, juridiquement, exister lorsqu’aucune autre infraction n’est commise dans la continuité de l’attente établie ou le groupement formé. Dans cette hypothèse, l’association de malfaiteurs trouve toute son autonomie et également, tout son intérêt. 

En revanche, lorsque l’entente ou le groupement se concrétise par la réalisation de l’infraction projetée, l’incrimination de l’association de malfaiteurs perd alors logiquement son autonomie, pour devenir un élément indissociable de l’infraction réalisée par la suite. Dans cette situation, l’association de malfaiteurs devient une circonstance aggravante de l’infraction réalisée. C’est en cela que l’infraction obstacle se distingue de l’infraction formelle, comme l’empoisonnement, constituée également sans résultat matériel mais dont la réalisation du résultat matériel ne modifie en rien la qualification.

Ainsi, la solution retenue par l’arrêt constitue simplement l’application des principes les plus établis du concours idéal des infractions. Correspondant à une pluralité textuelle, une action unique caractérisée par une seule intention, ne peut pas donner lieu à une pluralité de qualifications. Il faut, à ce titre, rappeler que le concours idéal est dominé par une double proposition. D’une part, lorsque plusieurs qualifications correspondent à une action unique caractérisée par une seule intention coupable, une seule qualification peut être retenue, celle la plus grave. D’autre part, lorsque l’action unique se caractérise par une pluralité des éléments matériels et moraux ou lorsque cette action porte à la fois atteinte à plusieurs valeurs sociales protégées, plusieurs qualifications peuvent être retenues.

Toutefois, la chambre criminelle subordonne l’unité de déclaration de culpabilité à l’existence de trois conditions : unité d’action, unité d’intention et l’existence concomitante des infractions.

En l’espèce, les faits procèdent de manière indissociable, d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable. Il en résulte qu’une seule qualification peut être retenue, qui absorbe, ainsi, les différents actes commis. Cette conséquence qui résulte de l’application des règles régissant le concours idéal des infractions, aurait dû toutefois être complétée par une seconde conséquence inévitable.

Le contenu identique de l’association de malfaiteurs et de la bande organisée en tant que circonstance aggravante

Si le point de départ de l’affirmation de l’arrêt est fondé, la conclusion à laquelle l’arrêt aboutit est moins évidente. En effet, selon l’article 324-2 du code pénal le blanchiment est aggravé lorsqu’il est commis en bande organisé, auquel cas la peine passe à dix ans d’emprisonnement et à 750 000 €. Or la bande organisée n’est pas autre chose que l’association de malfaiteurs, si on retient la définition du législateur dans l’article 132-71 qui définit la bande organisée comme « tout groupe formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions ». Cette définition est, à la lettre, identique à l’association de malfaiteurs qui est incriminée à l’article 450 du code pénal. 

Il en résulte que l’incompatibilité entre le blanchiment et l’association de malfaiteurs constitue une incompatibilité juridique, comme le vol commis avec violence, empêchant ainsi de retenir les deux qualifications ensemble, étant donné que le rapprochement de ces deux qualifications (blanchiment et association des malfaiteurs) fait apparaitre une troisième qualification, seule susceptible d’être retenue, à savoir le blanchiment aggravé par la bande organisée, ou plus exactement par l’association de malfaiteurs, étant donné que cette association constitue nécessairement et inévitablement une bande organisée. C’est l’oubli de cette donnée qui doit être relevé par rapport à cet arrêt – et de nombreux autres arrêts qui vont dans le même sens…

Magdy Habchy, Maitre de conférences HDR à la faculté de droit et science politique de Reims