La caducité du contrat de crédit : rappels en temps de crise

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La réforme du droit des contrats de 2016 a paré de nouveaux habits la notion de caducité à laquelle les juristes sont rompus. Nous nous proposons ici de tracer brièvement les contours de la caducité dans le cadre général du droit des contrats (1), avant de nous pencher sur les hypothèses de cas de caducité en matière de contrats de financement (2), pour conclure en mettant en exergue les solutions retenues par la pratique en pareille situation, le contrat proposé par la Loan Market Association étant muet sur la question (3) d’un risque exacerbé par les circonstances sanitaires que nous traversons.

 I. Généralités sur la caducité

La rédaction retenue par les rédacteurs de l’ordonnance de 2016 est la suivante :

« Un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît (...) », dispose l’article 1186 du Code civil. L’article 1187 du même code précise : « la caducité met fin au contrat (...) ».

On notera que les dispositions ci-dessus ne sont pas de nature à remettre les parties dans la situation où elles se trouvaient avant la formation du contrat comme ce serait le cas en matière de nullité. Néanmoins, l’article 1187 prévoit un mécanisme de restitution dans les conditions des articles 1352 et suivants du Code civil.

Enfin, notons que la caducité peut être invoquée unilatéralement, c’est en tout cas l’absence de disposition législative contraire qui permet de le penser. Toutefois, il n’est pas question de consacrer un « droit au regret » en ce sens que la disparition du consentement n’est pas un motif valable de caducité d’un contrat quelconque, réserve faite du décès de l’une des parties à un contrat conclu intuitu personae.

 II. Hypothèses de caducité d'un contrat de crédit

Côté emprunteur, les causes de la caducité du contrat de crédit sont en théorie nombreuses : faillite d’un chantier naval ou destruction du navire, ce qui vaut aussi pour les aéronefs ou le matériel roulant, procédure collective d’une société dont les titres sont à acquérir entre le signing et le closing, une vente en l’état futur d’achèvement (aussi dite « VEFA ») qui plonge en période de construction, etc... Risques qui étaient relativement théoriques mais qui pourraient devenir réalités à l’occasion de la crise suscitée par la pandémie.

Côté prêteur, deux causes peuvent être identifiées : (a) l’impossibilité de décaisser les fonds malgré un avis de tirage en bonne et due forme ou (b) le cas où l’indice de référence du taux d’intérêt devient négatif - même s’il est constamment admis dans les contrats de financement que le Libor ou l’Euribor (amenés à être remplacés en 2021) négatifs seront pour les besoins du contrat réputés être à zéro.

La caducité du contrat de crédit peut aussi résulter de la disparition d’un contrat sans lequel le contrat de crédit ne peut fonctionner (article 1186 du Code civil). Là encore, les exemples peuvent être nombreux : disparition d’un contrat de cession d’actions financé par le contrat de crédit, disparition du contrat de chantier naval entre le chantier et l’armateur, disparition d’un marché de partenariat dans le cadre d’un partenariat public privé, disparition d’un contrat entre l’exploitant d’un projet d’énergie renouvelable et le constructeur des actifs éoliens ou solaires, disparition du contrat d’opération et maintenance des actifs, ou encore retrait des autorisations administratives.

La jurisprudence a eu l’occasion de se pencher sur des contrats financiers dans lesquels la caducité pouvait être retenue. À ce titre, les arrêts de la Cour de cassation rendus en chambre mixte le 13 avril 2018 (nos16- 21.345 et 16-21-947) estiment « qu’il y a lieu de décider que la résolution du contrat de vente entraîne, par voie de conséquence, la caducité du contrat de crédit-bail ». En l’espèce, le poids d’un camion destiné à être loué par crédit-bail ne respectait pas les caractéristiques attendues au moment de finaliser la vente dans les mains du crédit-bailleur, le poids s’étant avéré supérieur à celui prévu. La résolution de la vente a donc logiquement fait disparaitre l’objet du contrat de crédit-bail, qui a été considéré caduc.

De même, la première chambre civile delà Cour de cassation, le 10 septembre 2015 (n°14-13.658) a caractérisé l’existence d’une indivisibilité conventionnelle (et donc une interdépendance notoire) entre contrat de vente et contrat de prêt accessoire, dès lors que l’offre de prêt est affectée au contrat principal et a été renseignée par le vendeur, et que le prêteur a remis les fonds empruntés entre les mains du vendeur. Sur la base de l’alinéa 2 de l’article 1186 du Code civil qui dispose que l’exécution d’un contrat rendue impossible entraîne « dans sa chute » la caducité de ceux dont l’objet est interdépendant, la résolution de l’un entraîne la caducité de l’autre.

III - Les réponses de la pratique

Les praticiens du droit financier se sont emparés de la question pour essayer de limiter les dégâts en cas de survenance d’un cas de caducité, en l’absence de réponse de la Loan Market Association.

Le principe est de contractualiser l’effet non rétroactif de la caducité, et d’empêcher que les sommes perçues, quelles qu’elles soient, par le prêteur dans le cadre de l’exécution du contrat ne soient restituées. Les engagements de décaissement des banques sont automatiquement réduits à zéro et l’emprunteur sera tenu de rembourser le principal et les intérêts dus au titre de l’avance en cours.

Il est également d’usage de prévoir le maintien de certaines clauses, à négocier entre les parties. Par le fait de la loi, du juge, ou de la pratique, le contrat caduc ne signifie pas que toutes ses dispositions contractuelles sont vouées à disparaître immédiatement (comme la nullité le pressent). En effet, pour le bon fonctionnement des relations contractuelles(tout juste caduques), certaines clauses continuent de s’appliquer :

- les clauses d’arbitrage, à la lecture de l’article 1447 du Code de procédure civile(« la convention d'arbitrage est indépendante du contrat auquel elle se rapporte. Elle n'est pas affectée par l'inefficacité de celui-ci ») ;

- les clauses de compétence juridictionnelle (Cass. com., 5 juillet 2017, n°15-21.894) ;

- les clauses pénales lorsque la situation de caducité est due à « la défaillance fautive » (Cass. Civ. 2, 6 juin 2013, n°12-20.352)

Par ailleurs, en plus des clauses précitées, certaines spécifiques au contrat de crédit sont contractuellement envisagées par la pratique comme résistant à la caducité telle que la clause consacrée aux intérêts ou la clause protégeant le secret bancaire.

La question de garder effective, suite à une caducité, une clause stipulant une indemnité de résiliation a vraisemblablement été rejetée par les jurisprudences du 13 avril 2018 susnommées mais le débat reste ouvert.

Les bornes que le législateur a dessinées quant au régime nouveau de la caducité sont aujourd’hui le débat à ouvrir. Par exemple, l’article 1230 du Code civil qui a affaire à la survie des clauses de confidentialité et de non-concurrence est encore aujourd’hui non-applicable à la caducité alors même que cette disposition n’est ni incompatible à la notion, ni dispensable tant la caducité traduit plus un état qu’une sanction prononcée contre les parties. En effet, alors même que le Code civil depuis 2016, fait le choix de l’intégrer dans le domaine des sanctions, elle ne représente finalement qu’un état.

Stéphan Alamowitch, avocat à la cour associé responsable de la pratique banque finance de Franklin, et Aurélien Sevin, avocat à la cour