Lorsque le contentieux judiciaire n’est pas une option, comment gérer vos litiges commerciaux ?

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La crise économique qui s’annonce en conséquence de la crise sanitaire liée à la propagation du virus Covid-19 sera le creuset de nombreux différends commerciaux dans les mois à venir. L’arrêt brutal de toute activité durant le confinement dans les secteurs du commerce de détail (retail) ou du tourisme, ainsi que la chute des exportations d’ores et déjà annoncée par l’assureur-crédit Euler Hermes dans sa note publiée le 18 septembre 2020 touchera particulièrement l’industrie aéronautique et automobile.

Les prestataires extérieurs étant les premiers touchés par les nécessaires mesures de réduction budgétaire prises dans ce contexte, d’ores et déjà de nombreux partenaires et sous-traitants de ces organisations ont vu leur volume de commandes fortement réduit si ce n’est purement et simplement annulé, sans toujours pouvoir bénéficier d’un délai suffisant pour se réorganiser.


Face à la multiplication des notifications de force majeure durant le confinement, et alors que les juridictions françaises ont confirmé en 20191 que la rupture brutale qui ne résulte pas d’un fait volontaire de la part de l’auteur mais de l’évolution de la conjoncture économique n’est pas fautive, et encore en 2020 qu’« une crise économique lourde dans un secteur d’activité peut être assimilée à un cas de force majeure et ainsi justifier une rupture sans préavis de relations commerciales établies »2, le contentieux judiciaire ne sera pas toujours une option à privilégier pour régler les différends commerciaux consécutifs à la crise économique.

En outre, si l’accès à la justice reste peu couteux en France pour les acteurs économiques (les frais du procès étant essentiellement constitués des frais de conseil et d’expertise le cas échéant), le risque de compromettre définitivement une relation commerciale avec un partenaire stratégique est à mettre en balance avec l’aléa judiciaire et ce, dans un contexte d’engorgement des tribunaux.

Dans une telle situation, la négociation commerciale doit d’autant plus être privilégiée, tout en veillant à fournir aux négociateurs, en amont des réunions, les arguments juridiques qui leur permettront de venir au soutien de leur position commerciale. En tant que conseil (interne ou externe à l’entreprise), cela suppose non seulement d’analyser les éléments connus de la partie « victime » mais également d’adopter une vision pragmatique du litige en se plaçant du côté de la partie adverse, de manière à anticiper les contre-arguments commerciaux et juridiques susceptibles d’être opposés.

La déjudiciarisation des différends opérée par les récentes réformes de la procédure civile laisse ainsi toute leur place aux avocats spécialisés en contentieux. La formation et la transmission des connaissances et du savoir-faire étant dans l’ADN des avocats, ces derniers ont toutes les qualités requises pour devenir (ou continuer à être) d’excellents coachs en négociation.

Lorsque la simple allusion par une partie à la saisine d’un tribunal est susceptible de cristalliser le litige, le recours à un tiers indépendant et neutre tel qu’un médiateur ou un conciliateur reste toujours envisageable.

Lancée en mai 2020 durant le confinement par le Cercle Montesquieu, l’AFJE, ainsi que le Barreau de Paris, sous l’égide du tribunal de commerce de Paris et dans le cadre de Paris Place de Droit, la plateforme digitale collaborative Tiers Conciliateurs propose ainsi aux entreprises confrontées à des difficultés d’exécution contractuelle d’obtenir rapidement l’aide d’un professionnel du droit dans un cadre confidentiel et sécurisé, pour les accompagner « dans la définition de solutions adaptées permettant de poursuivre la vie des affaires dans des conditions optimales, de restaurer la confiance et de recréer du lien entre partenaires »3.

Enfin, des obstacles inhérents au litige sont également susceptibles de conduire une partie à ne pas considérer le contentieux judiciaire comme une option simplement envisageable.

Ainsi par exemple , dans les relations entre franchisés et franchiseurs, l’existence au sein du contrat d’une clause d’arbitrage soumettant le règlement de tout litige lié au contrat à la compétence exclusive d’une institution située à l’étranger selon les règles du droit du pays dans lequel le franchiseur a généralement son siège social, suppose un « investissement » financier conséquent de la part du franchisé dans son procès avant d’obtenir une sentence arbitrale tranchant le fonds du litige, étant précisé que la seule existence d’une clause d’arbitrage au sein du contrat ne caractérise pas, per se, une situation de déséquilibre économique significatif au sens de l’article L.442-1 I du Code de commerce4.

L'ultime recours peut alors se trouver dans la fonction protectrice de l’Etat, au travers de l’action engagée par le Ministère de l’économie via son bras armé, la DGCCRF, qui permet de faire apprécier par les juridictions nationales le déséquilibre significatif susceptible d’affecter une relation commerciale, comme en témoigne l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 8 juillet 2020 dans l’affaire Expedia5.

Voire à la médiation des entreprises, puisque le récent décret n°2020-1133 du 15 septembre 2020, confiant à titre expérimental au Médiateur des entreprises pour trois ans une mission de médiation au sein des filières REP dans l'objectif d'optimiser les performances attendues sur le plan environnemental, témoigne de ce que l’Etat entend poursuivre son action d’incitation de recours aux modes amiables de résolution des litiges.

Djazia Tiourtite, Associée – Bird & Bird

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NOTES

1- Cour  de cassation, chambre commerciale, 6 février 2019, pourvoi n°17-23361

2- Cour d’appel de Paris, 8 janvier 2020, RG n°18-04493

3- https://tiers-conciliateurs.fr/

4- Cour d’appel de Paris, 2 juin 2020, RG n°17/18900, affaire Subway

5- Cour de cassation, chambre commerciale, 8 juillet 2020, pourvoi n°17-31536