L’avocat à l’heure du Covid-19

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Alors que la justice ne fonctionne plus qu’au ralenti et que ses clients se débattent dans une crise sans terme ni horizon définis, l’avocat confiné doit s’interroger sur ce que sera « le monde d’après » et adapter sa pratique à des besoins urgents et nouveaux auxquels la justice ne peut répondre. C’est en plaçant l’innovation et la création de valeur au cœur de son accompagnement que l’avocat se hissera à la hauteur des enjeux posés par la crise du Covid-19, selon Laurent Bernet, co-managing partner de Lerins BCW.

D’essence dubitative, volontiers sarcastique et à qui « on ne la fait pas », l’avocat a le plus souvent du mal, même au prix d’une introspection longue et douloureuse, à adhérer à l’illusion du « Rien ne sera plus jamais comme avant ».

Il est toutefois à craindre que certaines réalités obligent la robe noire la plus sceptique à engager une révolution culturelle, ce qui est bien le moins en présence d’un virus chinois.

Au prix même de la pensée un peu honteuse que le Covid-19 s’accompagnera demain d’une heureuse pandémie de contentieux grâce aux bénédictions que sont la force majeure et l’imprévision, une incontournable réalité est que l’activité contentieuse n’est florissante qu’en période d’expansion économique.

Quoique le propos puisse apparaitre contre-intuitif, il demeure qu’à l’exception de la matière des procédures collectives qui souvent bénéficie de vents porteurs en période de crise, l’urgence ne sera plus avant longtemps au contentieux dans le contexte actuel.

Sans se risquer à prédire un scénario de sortie de crise, l’urgence est aujourd’hui à la survie pour la majorité des acteurs économiques et une entreprise ne s’engagera demain dans les longueurs, coûts et incertitudes d’un contentieux que si elle en a le temps et les moyens immédiats.

Or, une autre réalité indépassable est celle que les tribunaux ne pourront répondre à cette urgence.

Si les tribunaux de commerce ont gagné en rapidité et efficacité, avec un taux élevé de confirmation de leurs décisions en appel (supérieur à 70 % à Paris), les tribunaux ne pourront en sortie de crise solder rapidement le stock des contentieux reportés ces derniers mois entre grève des avocats et crise sanitaire. Que dire alors du flot prévisible des contentieux en germe, pour l’heure retenus par les circonstances ou à naître de celles-ci…

Interviewé par le Club des Juristes, le Premier Président de la Cour d’appel de Paris Jean-Michel Hayat, après avoir rappelé que nombre d’affaires étaient avant même la crise sanitaire renvoyées à la fin de l’année 2021, préconisait pour répondre aux enjeux une relance forte de la médiation (Le Club des Juristes, 1er avril 2020).

Or, si depuis le 25 mars 2019 le juge peut enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur à toute étape de la procédure (y compris en référé) et si depuis le 1er janvier 2020, l’obligation préalable de tentative de règlement amiable est généralisée (pour les litiges inférieurs à 5000€ et certaines actions spécifiques), le juge pouvant en l’absence d’une telle tentative relever d’office l’irrecevabilité de la demande, l’usage de la médiation et autres modes alternatifs de règlement des litiges demeure encore anecdotique malgré des vertus a priori évidentes de rapidité et de souplesse.

Comme souligné par notre consœur Marie-Anne Gallot Le Lorier, « les avocats ne sont pas étrangers à une telle situation » du fait d’une culture « qui est celle du combat » (Le Club des Juristes, 8 avril 2020)

Pourtant, s’il subsistera toujours un contentieux traditionnel, la déstabilisation durable de l’économie mondiale génère pour les entreprises des attentes nouvelles en termes d’urgence, de solidarité, d’équité et de recherche de solutions constructives de long terme.

C’est en adaptant sa culture de combat et en l’enrichissant de nouvelles pratiques agiles, telles que la médiation ou encore le contrat de procédure participative, que l’avocat, qu’il soit médiateur ou accompagne son client en médiation ou même intervienne dans son rôle traditionnel de défenseur, répondra à l’urgence et se placera pleinement au cœur des enjeux nouveaux de ses clients.

C’est aussi dans cet esprit et avec cette « intelligence situationnelle » qu’il se mettra en capacité de proposer demain des réponses innovantes et adaptées aux « angles morts » de la justice et du droit, angles morts qui bien avant la crise sanitaire amorçaient un certain mouvement de désaffection du monde des affaires (e.g. l’inadaptation du droit processuel à la matière des conflits entre associés).

Au risque de rester une nouvelle fois à quai de l’histoire, l’avocat, pour conserver ou retrouver une place trop souvent par le passé abandonnée à d’autres professionnels par manque de pragmatisme, de souplesse et d’innovation, doit se réinventer.

Aucun professionnel n’est mieux armé que lui pour être à la hauteur de cet enjeu tant sa maîtrise des codes et enjeux du contentieux lui permet de se poser en véritable « expert en gestion des conflits », comme tel pleinement créateur de valeur.

Laurent Bernet, co-managing partner de Lerins BCW