Protection de l'environnement : entreprises, préparez-vous à une vague de contentieux

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Sylvie Gallage-Alwis, avocate associée chez Signature Litigation, revient pour le Monde du Droit sur les contentieux à naître en matière environnementale et sur leur impact pour les entreprises.

Le contentieux environnemental doit être analysé par les entreprises comme le contentieux de demain. La France doit montrer un changement de comportement pour éviter une sanction lourde européenne. Quoi de mieux que de transférer le fardeau aux entreprises ?

Le projet de loi créant une nouvelle justice pour l'environnement

Le 3 mars 2020, le Sénat a adopté en première lecture le projet de loi créant une nouvelle justice pour l'environnement présenté par le Gouvernement dans son dossier de presse comme un outil visant à "adapter l’organisation judiciaire à la recherche et à la répression des atteintes à l’environnement par la création d’une justice pour l’environnement" face au constat que "le contentieux environnemental représente seulement 1 % des condamnations pénales et 0,5 % des actions civiles".

Une des mesures phares de ce projet est la création d'une juridiction dédiée par cour d’appel avec des juges spécialisés. Paris et Marseille seront maîtres des dossiers les plus graves. Si la spécialisation devrait permettre plus de rapidité dans le traitement des dossiers, elle peut avoir des travers regrettables. Les juridictions spécialisées ont tendance à avoir du mal à remettre en cause leur jurisprudence face à de nouveaux éléments, craignant la critique qu'elles se contrediraient. Elles peinent également à rendre des décisions individualisées, condamnant plutôt le principe (ici, la pollution) que les faits. Ces juridictions ont également tendance à s'ériger en législateur. Ceci est illustré par la jurisprudence liée à l'amiante ou à la rupture des relations commerciales par exemple.

L'autre mesure phare est la création d'une convention judiciaire écologique décrite comme une sanction, une mise en conformité et une réparation à l'instar du mécanisme existant pour les faits d'atteinte à la probité et de fraude fiscal. Il existe pourtant déjà l'article L. 173-12 du Code de l'environnement, qui a certes un champ d'application plus stricte que la convention judiciaire envisagée, mais qui permet à l'autorité administrative de transiger sur la poursuite des contraventions et délits réprimés par le code. La perspective de sanctions plus lourdes suffira-t-elle à motiver des autorités accusées de ne pas en faire assez ? On peut craindre que oui, la France étant surveillée par l'Europe quant aux mesures qu'elle prend pour se conformer à ses obligations environnementales.

Dans un contexte où l'Etat français a été reconnu responsable

Tout est en effet lié. L'application qui sera faite de la loi telle qu'adoptée s'annonce très stricte car elle a pour contexte une condamnation de l'Etat français par la Cour de Justice de l'Union Européenne et plusieurs Tribunaux administratifs. La première a condamné la France le 24 octobre 2019 pour manquement aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2008/50/CE garantissant un air pur pour l'Europe. Il lui a été reproché le dépassement systématique et persistant des valeurs limites de dioxyde d'azote et l'absence de prise de mesures appropriées pour réduire ces dépassements rapidement.

Exactement dans les mêmes termes que Paris, Lyon et Montreuil, le Tribunal administratif de Lille a reconnu la carence fautive de la France le 9 janvier 2020. Comme les autres, il a néanmoins refusé le versement de dommages-intérêts au motif que le lien de causalité entre la maladie respiratoire alléguée et les pics de pollution visés n'était pas caractérisé.

Et où les contentieux contre les entreprises apparaissent

Si l'Etat n'est pas condamné à payer, on peut craindre que les entreprises le seront. Le même phénomène s'est produit s'agissant du contentieux lié à l'amiante. Le Conseil d'Etat a reconnu la responsabilité de l'Etat en 2004. Pourtant, pendant les quinze années suivantes, ce sont les entreprises qui sont devenues la cible de milliers d'action et d'une jurisprudence sévère qui est allée jusqu'à reconnaître le préjudice d'anxiété de développer une maladie dans le futur. Il n'est pas anodin que le terme "éco-anxiété", à savoir la peur liée au changement climatique, soit soudainement apparu. Le nombre de demandeurs pourraient ici devenir incontrôlable.

Outre des plaintes pénales contre X pour mise en danger de la vie d'autrui dans l'optique de voir les magistrats instructeurs pointer du doigt les industries qui pourraient être poursuivies, un nouveau type d'action a été engagé contre les entreprises à l'instar de l'assignation délivrée à la société Total par un collectif de plusieurs villes et ONG sur le fondement de la loi de vigilance du 27 mars 2017. Il s'agit là d'une action stratégique qui, si elle venait à être accueillie, pourrait ouvrir la voie à de nouvelles actions sur le même fondement car elle permet d'éviter tout débat relatif à un lien de causalité scientifique et médical. Les entreprises seraient alors attaquées pour ce qu'elles ont affirmé et faire dans le passé.

Sylvie Gallage-Alwis, avocate associée chez Signature Litigation