COVID-19 : Fermeture des juridictions, comment gérer au mieux vos contentieux grâce au recours aux modes alternatifs de règlement des différends ?

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

Marion Barbier, avocate associée, Djazia Tiourtite, avocate Counsel Bird & Bird AARPI, et Sophie Henry, Déléguée Générale du CMAP apportent au Monde du Droit leur décryptage sur le recours aux modes alternatifs de règlements des conflits (MARD) vis-à-vis de la situation sanitaire actuelle ayant provoqué la fermeture des juridictions.

La propagation du virus COVID-19 dans le monde entier a conduit l’Organisation Mondiale de la Santé à demander aux Etats de prendre des mesures de protection essentielles contre ce nouveau virus, afin de prévenir la saturation des soins intensifs des hôpitaux et renforcer l’hygiène préventive. 

C’est dans ce contexte que la Chancellerie a annoncé, dimanche 15 mars 2020, la fermeture à compter du 16 mars de toutes les juridictions en France ainsi que le report de toutes les audiences à l’exception de celles relatives aux « contentieux essentiels », c’est-à-dire principalement celles relatives au placement ou au maintien en détention, celles concernant les mineurs en cas d’urgence et les permanences du Parquet

En matière civile, de manière générale un renvoi systématique de toutes les audiences est prononcé. Seules les urgences civiles absolues, référés et requêtes, sont traitées. La permanence établie l’est uniquement pour les autorisations d’assigner en référé d’heure à heure en cas d’urgence extrême ou les requêtes urgentes en saisie conservatoire. L’appréciation de l’urgence est néanmoins extrêmement stricte, en particulier pour les recouvrements de créance, compte tenu des consignes et appels du Président et du Gouvernement à adopter un comportement responsable et solidaire.

Pour autant, les litiges ne vont pas disparaître et risquent au contraire de se multiplier du fait des inexécutions contractuelles qui découleront nécessairement des mesures de confinement prises par le Gouvernement, toutes les obligations ne pouvant s’exécuter en télétravail. 

La seule existence du virus COVID-19 ne pourra pas automatiquement être qualifiée d’évènement de force majeure et le recours à cette notion supposera bien souvent de se (re)plonger dans la lecture du contrat et d’identifier la ou lesquelle(s) parmi les mesures et ordonnances gouvernementales visant à faire face à la crise sanitaire (décision administrative obligatoire de restreindre les rassemblements, de suspendre les activités de transport, d'ordonner la fermeture de restaurants et de magasins, etc) est(sont) constitutive(s) de force majeure. Ainsi une analyse détaillée de la relation contractuelle et de la décision spécifique entravant ou empêchant l'exécution des obligations applicables sera nécessaire pour évaluer si la force majeure peut ou non être retenue. 

Dans ces conditions, alors que la saisine d’une juridiction est rendue quasi-impossible par les mesures de confinement et ne peut être envisagée que pour les demandes d’extrême urgence, le recours aux modes alternatifs de règlement des différends (MARD) reste possible et doit donc être privilégié pour la résolution des litiges.

En effet, la médiation et l’arbitrage présentent l’avantage d’offrir aux parties une maîtrise totale de leur organisation, permettant ainsi une mise en œuvre à distance, les réunions pouvant être organisées et se tenir par téléphone ou visioconférence.

De nombreuses institutions de médiation et d’arbitrage, comme le CMAP, restent ouvertes  à travers le monde, sont mobilisées en ces temps difficiles et encouragent les parties à tenir les audiences et réunions à distance.

La saisine d’une juridiction arbitrale permet d’interrompre les délais de prescription et conformément à l’article 2238 du Code civil, le recours à la médiation ou à la conciliation suspend également les délais de prescription.

A cet égard, la Chancellerie s’est engagée à mettre en place un moratoire sur les délais, recours et prescription, qui prendra effet rétroactivement à partir du 14 mars 2020 jusqu’à la fin de la période de confinement. L’article 7 I 2° de la loi d’urgence sanitaire adoptée le 22 mars 2020 habilite le gouvernement à procéder par voie d’ordonnance à une adaptation des règles de procédure et le projet d’ordonnance est en cours de finalisation par la Chancellerie en concertation avec les acteurs du monde du droit.

Le recours aux modes alternatifs de règlement s’inscrit dans une tendance forte d’évolution du contentieux, la réforme opérée par les décrets de décembre 2019 ayant pour objectif d’instaurer une procédure dématérialisée, déconcentrée et amiable. Dans ce cadre, le recours au juge doit devenir un mode alternatif de règlement des litiges ainsi que l’a récemment rappelé la Présidente de la Cour de cassation.

Cette crise à laquelle nous faisons face est donc aussi l’occasion de réinventer le contentieux, de changer les habitudes en la matière et de se familiariser avec des modes de règlements de litiges aujourd’hui alternatifs, mais qui ont vocation à devenir, comme la voie judiciaire, une solution légitime et reconnue de règlement des litiges.

Le baromètre du CMAP, institution dédiée à la résolution des conflits des entreprises (conflits commerciaux et sociaux), mesure, depuis une dizaine d’années, les évolutions de la médiation et de l’arbitrage en termes de coût, de durée, de secteurs d’activités et de typologies de conflits.

Les MARD peuvent être mis en œuvre dans toute typologie de litiges, quel que soit le domaine d’activité et toutes les entreprises peuvent y avoir recours, les enjeux variant de 3.000 € à plus d’un milliard d’euros.

C’est ainsi que les statistiques du Centre montrent que l’arbitrage favorise la maîtrise des délais avec une durée moyenne de 11 mois.

Quant à la médiation, elle offre la possibilité de trouver dans 70% des cas une issue favorable. Elle présente également l’avantage d’être plus rapide que le contentieux judiciaire avec une durée moyenne d’une quinzaine d’heures, permettant ainsi de mettre fin à un conflit à un coût maîtrisé, avantage non négligeable compte tenu de la possible multiplication des contentieux qui risquent de naître de cette période de crise.

Elle permet enfin de mieux comprendre et faire comprendre la nature des difficultés rencontrées, ainsi que la position financière et économique de chacune des entreprises impliquées et favoriser une telle communication sera primordiale pour les tous acteurs économiques.

A moins bien sûr que l’appel du Président et du Gouvernement à faire preuve de compréhension et de solidarité soit universellement entendu.

Par Marion Barbier, avocate associée, Djazia Tiourtite, avocate Counsel Bird & Bird AARPI, et Sophie Henry, Déléguée Générale du CMAP.

Voir aussi :