Comment sauver l’autonomie financière des collectivités territoriales ?

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La politique de décentralisation à l’œuvre depuis les années 80, et encore confirmée par les lois MAPTAM [1] et NOTRE [2], amène naturellement à interroger le niveau d’autonomie dont bénéficient à présent les collectivités territoriales.

Cette autonomie revêt plusieurs dimensions :

-         l’autonomie politique qui traduit la capacité d’une collectivité territoriale à définir elle-même ses objectifs politiques et à en réglementer les conditions d’exécution sur son territoire ;

-         l’autonomie budgétaire : capacité de la collectivité territoriale à définir son budget et à en contrôler l’exécution ;

-         l’autonomie de gestion avec laquelle la collectivité territoriale prend les décisions relatives à son propre personnel (recrutements, traitements, gestion de carrière …) et choisit le mode de gestion des services publics dont elle a la responsabilité (gestion directe, gestion déléguée …)

-         etc.

Il ressort d’une très intéressante étude de France Stratégie [3] que même si l’autonomie de gestion des collectivités territoriales françaises est comparable à celle des collectivités territoriales des autres pouvoirs locaux de pays membres de l’UE, la décentralisation des dépenses publiques apparaît faible.

C’est donc la liberté par laquelle les collectivités territoriales décident du niveau de leurs ressources qu’il est intéressant d’examiner.

Pour cela, le marqueur de l’autonomie financière permet de mener cette appréciation.

D’un point de vue juridique, l’autonomie financière des collectivités territoriale se déduit de la lecture de l’article 72-2 de la Constitution qui en définit les limites :

-       reconnaissance d’un droit pour les collectivités à bénéficier « de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi »,

-       possibilité pour les collectivités de « recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures », dont « la loi peut les autoriser à (…) fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine »

-       principe selon lequel « Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources », cette part étant elle-même définie par une loi organique;

-       et principe selon lequel « Tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ».

En l’occurrence la Loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 est venue définir le ratio minimal de ressources propres permettant de considérer que celles-ci constituent une part déterminante de l’ensemble des ressources des collectivités territoriales : « Pour chaque catégorie, la part des ressources propres ne peut être inférieure au niveau constaté au titre de l’année 2003 » (article LO 1114-3 alinéa 3 du Code général des collectivités territoriales).

En 2003, le niveau des ressources propres de chaque catégorie de collectivité a été fixé comme suit : 60,8 % pour le bloc communal, 58,6 % pour les départements et 41,7 % pour les régions.

Le suivi de l’évolution de ce ratio d’autonomie financière au cours années suivantes constitue un indicateur intéressant.

Mais il convient toutefois de restreindre le calcul du ratio d’autonomie financière aux seules recettes fiscales dont les collectivités peuvent fixer l’assiette, le taux ou le tarif pour aboutir au calcul du ratio d’autonomie fiscale des collectivités territoriales, soit (et selon le niveau local pris en compte) : la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB), la contribution foncière des entreprises (CFE), la taxe d’habitation (TH), la taxe de séjour, la taxe d’aménagement, la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM), la taxe sur la consommation finale d’électricité, la taxe sur les certificats d’immatriculation.

La loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 comporte une réforme de la fiscalité locale qui prévoit la suppression définitive de la taxe d’habitation sur les résidences principales aura une incidence défavorable sur l’évolution de ce ratio d’autonomie fiscale, puisque la loi ne crée pas de nouvelles ressources dont les collectivités territoriales concernées par la suppression de ladite taxe d'habitation pourraient définir l’assiette, le taux ou le tarif, mais seulement divers mécanismes de compensation.

Une telle étude [4] aboutit à une projection pessimiste à horizon 2022 :

Taux d’autonomie financière - Ratio minimal - Niveau 2003

Bloc communal 60,8 % - Départements 58,6 % - Régions 41,7 %

Taux d’autonomie financière en 2015

Bloc communal 68,6 % - Départements 70,9 % - Régions 62,5 %

Ratio d’autonomie fiscale en 2015

Bloc communal 41,1 % -Départements 22,6 % - Régions 9,2 %

Ratio d’autonomie fiscale - Projection à 2022 [5] après suppression de la taxe d’habitation

Bloc communal 38,3 % - Départements 1,7 % - Régions 9,2 %

En incluant dans l’étude du ratio d’autonomie financière des recettes dont les collectivités territoriales ne maîtrisent ni l’assiette ni le taux ni le tarif [6] le résultat de ce ratio s’en trouve certes amélioré mais aboutit à un réel désarroi des collectivités territoriales en raison de la très faible corrélation entre la décentralisation des finances publique et la liberté fiscale des acteurs locaux, et qui s’est manifesté à l’occasion de l’adoption de la loi de finances pour 2020.

A l’heure où les collectivités territoriales manifestent leur volonté d’agir en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique et où l’efficacité de l’action publique doit faire porter ses efforts sur la justice sociale et la lutte contre l’exclusion pour constituer une réponse aux critiques des discours politiques qui nourrissent la crise de la démocratie, l’important paraît de renforcer l’action des collectivités territoriales par une plus grande liberté fiscale.

Alors, le projet de loi « Décentralisation, différenciation, déconcentration » (3D) pourra-t’il remédier à cette situation ?

Le Premier Ministre et la Ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales viennent de lancer les réunions de concertation préalables à l’élaboration du projet de loi 3D pour une meilleure efficacité de l’action publique.

Comme la proximité de l’action publique est vue comme un gage de son efficacité et le projet de loi 3D veut donc renforcer la décentralisation. Il est annoncé que ce projet de loi visera une plus grande adaptation des droits des collectivités territoriales à leurs particularités locales plutôt qu’un renforcement de leurs compétences par seul effet de transfert par l’Etat de ses prérogatives.

Ainsi, le projet de loi devrait prévoir :

-         de faciliter le recours par les collectivités territoriales au droit à l’expérimentation dont l’utilisation se heurte à de trop grandes incertitudes juridiques (complexité de la procédure de mise en œuvre, obtention préalable d’une dérogation à la norme, risque induit pas les « fausses expérimentations » …) ;

-         de conférer aux collectivités territoriales un pouvoir réglementaire, les faisant ainsi intervenir en subsidiaires de l’Etat pour la définition des règles d’application des textes législatifs ;

-         d’accorder aux collectivités territoriales la possibilité d’exercer différemment les politiques publiques ;

-         d’encourager la délégation de compétences entre les collectivités territoriales de différentes niveaux.

L’élaboration du projet de loi pourrait aussi être l’occasion de compléter la réforme de la fiscalité locale issue de la loi de finances pour 2020. A cet égard, lors de son discours du 1er octobre 2019 devant le 15ème Congrès des Régions de France, le Premier Ministre a clairement évoqué la possibilité pour les Régions d’alléger la CVAE qu’elles perçoivent au-delà des autorisations légales qui leurs sont déjà accordées pour la protection de certaines activités (librairies, universités, …).

La phase de concertation engagée par l’Etat auprès des collectivités territoriales depuis ce mois de janvier 2020 « aura pour but d’identifier territoire par territoire, les besoins d’organisation des compétences ou de définition de dispositifs y compris fiscaux ».

Comme l’a déjà souligné Régions de France, tout l’enjeu de ce projet de loi 3D consiste bien en ce que les collectivités territoriales bénéficient des pouvoirs nécessaires à l’exercice de leurs responsabilités.

Sabine Dubédat, Responsable Juridique Appels d'offres France & Régulation Transdev

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[1] Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles

[2] Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République

[3] Note d’analyse n° 80 « Autonomie des collectivités territoriales : une comparaison européenne » - Juillet 2019

[4] Rapport n° 912 de MM. Christophe Jerretie et Charles de Courson « Mission Flash sur la réforme des institutions – autonomie financière des collectivités territoriales » (Mai 2018)

[5] A noter : la projection mentionnée ici résulte du Rapport n° 912 précité datant de Mai 2018 alors que la réforme de la taxe d’habitation était prévue pour prendre effet en 2022. La loi de finances pour 2020 prévoit que la suppression de la taxe d’habitation sera effective en 2023.

[6] Par exemple : recettes fiscales déterminée à partir d’une base locale d’assiette et dont le taux est soit (i) adopté par l’assemblée délibérante de la collectivité mais est plafonné par la loi soit (ii) adopté nationalement.


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