AFA : Guide pratique relatif aux « vérifications anticorruption dans le cadre de fusions-acquisitions »

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L’AFA poursuit son œuvre de "pédagogie musclée" autour de deux axes, le développement de la culture de la conformité dans l’entreprise et le recours à la justice négociée.

La loi Sapin II n’impose aux entreprises aucune mesure anticorruption lors d’opérations de fusions acquisitions.

Pour réparer cet oubli du législateur, l’AFA compte sur la mise en place de bonnes pratiques par la fonction conformité et sur le caractère pragmatique des acteurs économiques qui verront leur intérêt dans la juste appréciation des conditions d’acquisition de la cible.

Le recours à la fonction conformité au sein d’opérations aussi stratégiques que les fusions semble désormais essentiel pour évaluer les impacts d’un éventuel contrôle post acquisition ou encore de l’émergence d’un soupçon de corruption, sur les conditions d’acquisitions.

Dans cet esprit, l’AFA recommande qu’il soit mené, dès l’identification de la cible et le début des pourparlers, des premières vérifications pour apprécier la maturité du programme anti-corruption de la cible, mais aussi ses écarts, tant avec les recommandations de l’AFA, qu’avec le programme de la société absorbante.

L’évaluation du coût d’acquisition sera ainsi impactée par le coût de la mise à niveau engendrée, mais aussi plus classiquement par les procédures judiciaires et les contrôles AFA en cours.

Concernant les procédures AFA en cours devant la commission des sanctions, il est confirmé qu’en cas de manquements constatés, avant la réalisation de l’opération d’acquisition, les sanctions pécuniaires (1 million d’euros pour mémoire), pourront être prononcées soit à l’encontre la société cible, si sa personnalité perdure, soit à l’encontre de la société absorbante, la responsabilité de l’amende administrative étant susceptible de transfert vers la nouvelle entité (contrairement à la responsabilité pénale).

Par ailleurs, si la sanction personnelle d’injonction de mise en conformité n’est pas susceptible d’être transférée en cas d’absorption, la nouvelle entité devra s’assurer que les obligations issues de Sapin II sont respectées pour ne pas engager sa responsabilité pour l’avenir, ce qui entraînera en tout état de cause des frais de mise à niveau.

Faire l’acquisition d’une société en cours de contrôle AFA est donc une décision qui devra faire l’objet d’une évaluation précise.

L’avenir de la société cible peut également être impacté par les procédures judiciaires en cours en matière d’anticorruption.

A ce titre, l’AFA se veut rassurante en rappelant qu’en cas de fusion absorption, l’action publique sera éteinte par la disparition de la société cible, le principe de responsabilité personnelle faisant obstacle au transfert de sa responsabilité pénale vers la société absorbante ou ses nouveaux dirigeants.

Si ce principe permet à la nouvelle structure d’échapper à toute condamnation, c’est oublier toutefois que les poursuites à l’encontre du management en place peuvent perdurer en dépit de l’absorption et que celle-ci ont des conséquences sur l’activité future.

A titre d’exemple, au-delà des enjeux médiatiques, une condamnation définitive pour des faits de corruption d’un dirigeant ou d’un représentant de la société absorbante entraîne l’exclusion de celle-ci des procédures de passation des marchés publics (article L2141-1 code de la commande publique).

Ces procédures judiciaires en cours présentent donc des enjeux stratégiques, non seulement sur le plan financier, mais également sur le plan réputationnel et sur l’avenir du management.

Ces enjeux sont d’autant plus prégnants en cas de soupçons de faits de corruption au sein de la société cible qui n’auraient pas encore été révélés aux autorités.

Pour les poser, l’AFA prend soin de rappeler que si les faits perdurent après la réalisation de l’opération, ils seront susceptibles, si le management en est informé, d’engager la responsabilité pénale de la nouvelle entité et de ses dirigeants au titre du délit de corruption, de son recel ou encore du blanchiment de celui-ci.

Les soupçons, dès qu’ils se voient confirmés par l’enquête interne, doivent donc conduire le management de la nouvelle entité à réagir immédiatement pour faire cesser les faits.

Allant au-delà, l’AFA incite sans réserve au recours à la CJIP : « Si les dirigeants d’une société ne sont pas soumis à l’obligation de dénoncer de tels faits à l’autorité judiciaire, il peut être dans leur intérêt de le faire en vue d’apurer la situation pénale de la société par la conclusion d’une convention judiciaire d’intérêt public ».

Si l’on ne peut que rejoindre l’AFA sur le fait que la découverte de tels soupçons doit amener à des « mesures correctives immédiates », la solution proposée, soit le recours à la CJIP, doit faire l’objet d’une évaluation sérieuse.

En effet, l’AFA n’hésite pas à promouvoir une forme de "prime à la dénonciation" entre l’acquéreur et le cédant : « s’il a connaissance de faits de corruption commis par la cible avant l’opération, le cédant aura également intérêt à réaliser une enquête interne afin de savoir s’il peut être impliqué (…). Le cas échéant, il pourra envisager de s’autodénoncer au procureur de la République et ainsi devancer une éventuelle dénonciation de ces faits par l’acquéreur ».

L’AFA instaure ainsi un parallèle avec la procédure de clémence devant l’Autorité de la Concurrence dans le cadre des fusions acquisitions, en faisant la promotion d’une justice négociée.

Toutefois, la procédure de CJIP est loin de présenter les mêmes avantages qu’une procédure de clémence en ce qu’elle ne prévoit aucune exonération partielle ou totale pour le repenti.

Si le caractère volontaire de la dénonciation, la rapidité de celle-ci à compter de la découverte des faits ou la participation de l’entreprise à la manifestation de la vérité par le biais d’une enquête interne, sont envisagés comme des éléments minorants de l’amende dans le cadre des lignes directrices publiées au mois de juin 2019 par l’AFA et le PNF, ces démarches ne permettent aucune exonération.

Bien au contraire, les premières CJIP publiées démontrent que les sanctions prononcées sont particulièrement sévères et conduisent les entreprises à verser des sommes bien supérieures aux condamnations prononcées par les tribunaux correctionnels.

Le degré de coopération attendu par le Parquet dans le processus de négociation d’une CJIP est par ailleurs porteur d’un risque pour les entreprises qui auraient fait le choix initial de s’auto-dénoncer, puisque dans l’hypothèse où une Convention ne serait finalement pas conclue, le Parquet conservera et utilisera, à n’en pas douter, les éléments issus de l’enquête interne pour engager des poursuites.

Ce risque doit donc être pleinement appréhendé par les entreprises qui envisagent de solliciter une CJIP en dénonçant spontanément des faits de corruption ou de trafic d’influence.

En outre, si la CJIP n’entraine pas de reconnaissance de culpabilité, permettant – et c’est là l’un des bénéfices largement mis en avant – de ne pas être exclu des procédures de passation des marchés publics français, elle implique nécessairement la reconnaissance des faits ainsi que de leur qualification pénale.

Or, le bénéfice de la CJIP et de l’absence de reconnaissance de culpabilité ne touche que la personne morale et non les personnes physiques impliquées (et généralement identifiées aux termes du rapport remis par l’entreprise au Parquet) lesquelles pourront et feront, selon toute vraisemblance, l’objet de poursuites pénales ultérieures.

Rappelons en effet que la CJIP ne traite pas de la situation des personnes physiques.

Elle exacerbe ainsi les divergences d’intérêts entre la société absorbante et le management (issu de la nouvelle entité, comme de la cible), étant rappelé que la société absorbante ne peut conserver des dirigeants impliqués si elle veut négocier une CJIP ou si elle veut pouvoir continuer à soumissionner aux marchés publics. (article précité)

Les intérêts divergents entre l’avenir de la cible et son management dans le cadre d’une opération sortent ainsi renforcés de la lecture de ce guide pratique et il conviendra toujours de rappeler que la société absorbante n’a aucune obligation de révéler les faits aux autorités, cette décision devant faire l’objet d’un choix particulièrement réfléchi.

En tout état de cause, il est fort probable que l’anticorruption devienne un outil d’appréciation du coût et de l’opportunité d’une opération impactant les garanties apportées, les modalités d’évaluations et de règlement du prix, comme la réflexion sur la couverture de certains risques par les assurances.

Reste à savoir si l’autodénonciation par le biais de la CJIP, connaîtra le même succès que la procédure de clémence devant l’Autorité de la Concurrence. En l’état, au-delà des freins culturels et des effets de bord pour les personnes physiques, le montant des amendes d’intérêts publics négociées reste pour l’heure dissuasif.

Par Pauline Danjou et Matthias Guillou, Avocats, Chemarin & Limbour