Idéethic questionne l’efficacité des outils de lutte contre la corruption et la fraude fiscale

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A l’occasion d’Idéethic, la conférence internationale pour une éthique de l’action politique, économique et sociale organisée par le Club des juristes qui s’est tenue le 5 novembre dernier, la deuxième table ronde animée par Valérie de Senneville, Grand reporter aux Echos, abordait la compliance. Bernard Cazeneuve, Avocat et Président du Club des juristes, Charles Duchaine, Directeur de l’Agence Française Anticorruption (AFA), Marc-André Feffer, Président de Transparency International France, Aurélien Hamelle, Group General Counsel chez Total, Laura Codruta Kövesi, Procureur en chef du Parquet Européen et Isabelle Durant, Secrétaire générale adjointe de la CNUCED se sont tour à tour exprimés sur la question de l’efficacité des dispositifs de lutte contre la corruption et la fraude fiscale au plan international.

Des outils insuffisants face à l’ampleur du phénomène

La perte due aux fraudes fiscales est estimée à 2,2 billions de dollars, l’équivalent d’une 8ème puissance économique mondiale. Face à l’ampleur du désastre, Isabelle Durant, secrétaire générale de la CNUCED, recommande une définition plus précise et plus claire des flux financiers et commerciaux illicites.

Les outils de mesure utilisés par les organismes non étatiques comme Transparency France sont insuffisants, surtout face à des flux illicites par définition dissimulés. La photographie de la fraude et perte fiscale est donc imparfaite.

Les outils de lutte mis en place, comme la convention de l’OCDE, demeurent trop fragmentés, et ce même au niveau national. En mesurant la mise en œuvre réelle cette dernière signée par 44 pays, quatre groupes se distinguent : pour un quart, la mise en œuvre des obligations édictées est complète ; pour un autre, elle est modérée ; pour le troisième quart, limitée (c’est le cas pour la France) ; pour le dernier, enfin, aucune mise en œuvre n’est observée.

« La loi Sapin 2 a apporté des outils juridiques de qualité. Cependant, la lutte contre la corruption ne se limite pas à la compliance. Des moyens sont également nécessaires », fait remarquer Marc-André Feffer, Président de Transparency International France.

La coopération européenne nécessaire face aux problématiques internationales

D’après M. Duchaine, Directeur de l’AFA, il existe un problème d’orientation et de coordination des moyens notamment concernant les poursuites extra territoriales et la communication des informations. Tout l’intérêt, pour une entreprise, de travailler en collaboration avec l’AFA est d’éviter une pluralité de poursuites et de peines qui pourrait nuire à son image. L’espionnage économique et la concurrence déloyale rendent l’anti-corruption transnationale indispensable. Il faut, de l’avis de tous les intervenants, mettre en place une sanction unique, inciter un certain nombre de pays à participer à cette lutte et écarter les prétentions nationales illégitimes.

Pour la procureure européenne Laura Codruta Kövesi, il n’est ni logique ni efficace d’avoir 22 codes de procédure différents en la matière. Le travail d’équipe et l’indépendance de la justice sont le fondement de toute coopération réussie.

Bernard Cazeneuve se positionne également pour une orientation européenne qui lui parait nécessaire. « En matière de lutte et de prévention de la corruption, il n’est pas possible de faire l’impasse sur la dimension européenne du problème qui se présente à nous. Les pays européens doivent coopérer sur le sujet » Cette problématique est, pour l’ancien Premier Ministre, mauvaise pour le marché intérieur, la confiance dans les institutions, la réputation et la compétitivité des entreprises européennes.

Du côté des multinationales, soumises à de nombreuses compétences, Aurélien Hamelle, directeur juridique de Total, soulève la question de l’hégémonie des Etats-Unis dans le domaine judiciaire international. « La puissance du droit américain n'est que le reflet de la puissance économique américaine », observe-t-il.

La loi Sapin II : l'amorce d'une dynamique vertueuse

Le domaine de l’anti-corruption est en progrès depuis la mise en place de la loi Sapin II qui s’attaque désormais aux racines du mal : La France, longtemps 27ème selon l’indice de perception de la corruption, est désormais 23ème. Charles Duchaine le souligne, « on ne tue pas un arbre en lui arrachant les feuilles » : il est illusoire de penser que seule la répression peut agir. Les lois françaises ont érigé la conformité en obligation pesant sur les acteurs publics et les grandes entreprises et laissent la place au contrôle interne qui a l’avantage de crédibiliser l’alerte éthique. Outre une série de pressions législatives et sociales vertueuses pesant sur les entreprises, Aurélien Hamelle constate une nouvelle intériorisation du devoir de transparence notable.

Pour une efficacité plus poussée encore, Bernard Cazeneuve préconise une directive qui intègre l’ensemble des préconisations de l’OCDE et les principes de prévention de la loi Sapin II, une révision de la convention cadre sur la corruption privée, le développement de la coopération entre les instances de poursuite. Tout cela sera en faveur d’une correction de la relation très asymétrique des Etats-Unis et de la France qui n’est pas négligeable.

Alice Magar et Arnaud Dumourier