Brexit : quel avenir pour les jugements britanniques au sein de l’Union européenne ?

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charlotte baillotLe Brexit provoque toujours de nombreuses incertitudes. Il nous invite notamment à nous interroger sur la future reconnaissance et l’exécution des jugements britanniques à l’international.

En effet, en application du Règlement Bruxelles I bis, les jugements rendus en matière civile et commerciale par les juridictions du Royaume-Uni font actuellement l’objet d’une reconnaissance automatique et bénéficient de plein droit de la force exécutoire dans les États membres de l’Union européenne. Cependant, ce règlement cessera de s’appliquer au Royaume-Uni dès sa sortie de l’Union européenne. Plusieurs solutions alternatives sont dès lors envisageables.

Depuis bientôt trois ans, les conséquences de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sont incertaines. Bien que les derniers jours aient donné lieu à de nouveaux rebondissements, de nombreuses questions restent en suspens, dont celle de la reconnaissance et de l’exécution au sein de l’Union européenne des jugements prononcés par des juridictions britanniques.

Un vide juridique problématique

Lorsque le Royaume-Uni quittera l’Union européenne, le Règlement Bruxelles I bis, qui consacre la libre circulation des jugements et l’exécution directe au sein de l’Union européenne des décisions judicaires rendues dans les États membres, cessera de s’appliquer aux décisions britanniques. Une forte insécurité juridique va nécessairement en résulter.

Pour apporter une première réponse à cette problématique, le Royaume-Uni a adhéré, en décembre 2018, à la Convention de La Haye de 2005 sur les accords d’élection de for, qui permet la reconnaissance et l’exécution, dans les États contractants, des jugements rendus par un tribunal d’un État contractant désigné dans un accord exclusif d’élection de for. Cette convention ne s’applique toutefois que dans des cas bien particuliers et son champ d’application est de surcroît restreint. Les cas de reconnaissance d’un jugement prononcé au Royaume-Uni en vertu de cette convention seront donc vraisemblablement très limités.

Pour la grande majorité des décisions britanniques, quatre scénarios peuvent être envisagés.

Première option : le maintien du Règlement Bruxelles I bis

La première option consiste à maintenir le Règlement Bruxelles I bis, non plus en tant qu’État membre de l’Union européenne, mais en tant qu’État tiers. Le Royaume-Uni pourrait suivre l’exemple du Danemark qui, le 19 octobre 2005, a signé un accord avec l’Union européenne sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Cette solution, bien que vectrice de sécurité juridique, va néanmoins à l’encontre de l’esprit du Brexit et de la volonté des dirigeants britanniques : le Royaume-Uni quitterait l’Union européenne mais continuerait de se soumettre au droit communautaire. Il est donc peu probable que cette option soit retenue.

Seconde option : la signature de la Convention de Lugano

La seconde option est celle d’une adhésion du Royaume-Uni à la Convention de Lugano de 2007. Ce texte étend actuellement les règles unitaires de compétence, de reconnaissance et d’exéquatur à trois États de l’Association européenne de libre-échange (AELE) que sont l’Islande, la Norvège et la Suisse. Le Royaume-Uni a cependant quitté l’AELE en 1973 lors de son intégration à l’Union européenne. Il faudrait ainsi, dans un premier temps, que l’ensemble des États parties à la Convention de Lugano acceptent que le Royaume-Uni entre à nouveau dans l’AELE, avant que ce dernier puisse signer la Convention dans un second temps. Ce scénario a donc également peu de chances de se concrétiser.

Troisième option : la négociation d’accords multilatéraux ou bilatéraux

Le Royaume-Uni peut décider de négocier des accords bilatéraux ou multilatéraux portant sur la reconnaissance et l’exécution des décisions de justice avec certains États membres de l’Union européenne, et notamment ses principaux partenaires économiques. Ces accords ne supprimeraient probablement pas la procédure d’exequatur, mais pourraient néanmoins la simplifier. Bien que longue et complexe, cette solution pourrait être perçue au Royaume-Uni comme une occasion de redéfinir ses relations au cas par cas avec chaque État membre.

Quatrième option : le retour au droit commun de l’exequatur

Un retour au droit commun de l’exequatur est bien évidemment envisageable. Cette dernière option semble d’ailleurs la plus probable. Dans ce cas, pour être exécuté, tout jugement britannique devra faire l’objet d’une procédure d’exequatur dans chaque État dans lequel on cherche à lui faire produire ses effets. Ces procédures d’exequatur seront longues, démultipliées, et basées sur des règles propres à chaque État, ce qui aura pour effet d’accentuer l’insécurité juridique. En France, par exemple, le juge vérifiera que le jugement britannique (i) a été rendu par un juge dont la compétence est considérée comme pertinente à l’égard du litige, (ii) est régulier à l’égard de l’ordre public international de fond et de procédure français, (iii) et n’a pas été obtenu en fraude à la loi française.

Londres pourrait dès lors perdre une grande partie de ses contentieux au profit d’autres États de l’Union européenne. On notera d’ailleurs que la place de Paris s’est dotée de chambres internationales au sein du Tribunal de commerce et de la Cour d’appel, devant lesquelles les débats peuvent se tenir en anglais.

Charlotte Baillot, Avocate Associée au sein du cabinet K&L Gates