Contentieux des affaires : la médiation va-t-elle remplacer le procès ?

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Louis DegosLes entreprises ont, plus que jamais en 2017, tendance à recourir à la médiation pour régler leurs différends. Analyse des raisons du succès de ce mode alternatif de règlement des litiges, nouveautés et perspectives.

Lenteur de la justice traditionnelle, honoraires et frais élevés, décisions difficiles à appliquer et remise en cause des relations d’affaires, sont autant de facteurs qui poussent de plus en plus les entreprises à préférer la médiation au procès traditionnel.

Selon une étude réalisée en 2016 par le Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris (CMAP), Squaremetric et Baro Alto, 90% des entreprises interrogées ont eu recours à la médiation au moins une fois sur les douze derniers mois et 77% d’entre elles jugent ce mode de résolution des différends efficace.

Dans les faits, la médiation peut intervenir en matière commerciale, mais aussi familiale, sociale ou administrative. Gardons toutefois à l’esprit qu’il y a « médiation » et « médiation ».

Si ce mode alternatif est répandu dans des domaines très variés, les pratiques sont, elles, bien spécifiques à chaque secteur. En effet, selon les domaines du droit concernés, les parties n’ont pas les mêmes objectifs et ne sont pas confrontées aux mêmes problématiques. Un médiateur commercial, par exemple, doit faire respecter une confidentialité totale y compris sur l’existence même de la médiation, alors qu’un médiateur familial n’est pas soumis aux mêmes impératifs de confidentialité. Ces deux médiateurs ont ainsi des profils, une approche et des compétences radicalement différents : tandis que l’un va traiter d’intérêts financiers entre entreprises et tenter de préserver les relations commerciales futures, l’autre essaiera de faciliter la séparation définitive d’un couple. Leur seul point commun est ici la recherche d’une solution amiable profitable à tous, et l’abandon des réflexes contentieux.

Le succès de la médiation pourrait mener, à terme, à une forte diminution des procès dans le contexte des affaires. Mais avant cela, du côté des pouvoirs publics, il va falloir éclaircir certains points.

Hyper judiciarisation et risque de dénaturation

Car, si ces derniers ont bien saisi l’urgence qu’il y a à désengorger les tribunaux et accepté de soutenir le développement de la médiation, la loi J21 (promulguée le 18 novembre 2016) vient la réglementer et la remettre ainsi paradoxalement dans le giron de la justice étatique.
Certes, l’État encourage la médiation mais l’encadre aussi davantage. Cela s’inscrit en parallèle dans un mouvement de privatisation de la justice et de ses coûts afférents. Ne nous cachons pas la réalité : la faveur portée à la médiation n’est pas qu’une volonté de pacification des conflits et de résolution intelligente, c’est aussi une stratégie d’économie au regard des moyens de la Justice.

Face à cela, il est naturel à la fois de s’interroger sur la capacité des politiques à agir sur la saturation des tribunaux, mais aussi de pointer un risque évident de dénaturation de la médiation.
A titre d’exemple, si la médiation venait, à terme, à remplacer le procès, elle ne pourrait pas demeurer un processus contractuel bilatéral ou « fermé » entre les seules parties contractantes car des tiers ayant un intérêt dans la solution du litige devront pouvoir y participer.

De même, les tiers « sachant » (experts/techniciens) pourraient venir s’intégrer dans le processus de médiation, comme dans un vrai procès. Afin d’éviter une re-judiciarisation de la médiation, il faudra donc savoir se servir d’autres outils tels que la procédure participative qui vient encadrer l’intervention d’un expert-technicien.

Vers une évolution du rôle de médiateur ?

Si la procédure tournait à la bataille d’experts, le médiateur serait alors obligé de trancher entre leurs positions ou à tout le moins donner son avis lui aussi. Sa fonction serait ainsi dévoyée, celui-ci agirait plus en qualité de médiateur « aviseur », alors qu’il doit plutôt rester, en toutes circonstances, un médiateur « facilitateur ».

Cet essor rapide de la médiation a également pour effet une certaine démocratisation de la profession de médiateur. Certains médiateurs sont donc moins spécialisés (et moins bien formés ou expérimentés en médiation). Dès lors, on peut s’interroger sur la personne et la formation du médiateur. S’il n’existe pas encore de titre officiel et professionnel de médiateur, un agrément de médiateur du Centre National de Médiation des Avocats a été créé par le Conseil National des Barreaux, permettant de reconnaître les avocats « spécialisés » en la matière.

Le succès de la médiation n’est cependant pas total car plusieurs obstacles et dangers subsistent. L’hypothèse de non-résolution du différend, la violation de la confidentialité, et la révélation d’une position de faiblesse sont des facteurs de risque pour les entreprises*. Néanmoins, ces risques sont en réalité très limités lorsque la médiation est bien menée, de manière professionnelle et sérieuse, par le médiateur (et lorsque les parties sont bien conseillées par leurs avocats respectifs), car tout le processus est alors organisé dans un cadre contractuel spécifique.

Reste que le principal enjeu aujourd’hui est la préservation de la spontanéité inhérente à la médiation, par la sensibilisation des pouvoirs publics au risque de dénaturation – et de la perte de l’intérêt – de ce mode alternatif de résolution des différends, s’il venait à être encore davantage règlementé.

Source : l’observatoire des stratégies de médiation pour les règlements des conflits réalisés par le Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP), Squaremetric et Baro Alto en janvier 2017

Louis Degos,  Associé gérant - K&L Gates, médiateur agréé par le CNMA, avocat conseil en médiation