Propriétaires de sites pollués et détenteurs de déchets : l’assimilation des genres

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astrid rebillardEn sa qualité de détenteur de déchets, le propriétaire d’un sol pollué par un exploitant d’une installation classée doit en assurer la dépollution. Bien que n’étant pas pollueur, c’est lui le payeur ! Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 23 novembre 2011, Min. Écologie c/ Sté Montreuil Développement (1).

Élasticité de la notion de détenteur de déchets v. principe pollueur-payeur - Pour écarter la responsabilité de l’État en raison de l’illégalité d’un arrêté ordonnant à un propriétaire la dépollution de son terrain sur le fondement de la législation sur les installations classées (seul l’exploitant pouvant alors être tenu à la remise en état), le Conseil d’État a considéré que la même décision aurait légalement pu lui être imposée en sa qualité de détenteur de déchets. Après des hésitations jurisprudentielles (2), la Haute juridiction administrative semble avoir ainsi décidé de sacrifier le principe pollueur-payeur. 

A cet égard, rappelons que, en matière de déchets, ce principe implique que la prise en charge financière de leur élimination soit imposée aux personnes qui en sont à l’origine, qu’elles en soient détentrices, anciennes détentrices ou encore productrices du produit générateur des déchets.

Certes, le législateur français n’a jamais spécifié dans quels cas le producteur initial conserve la responsabilité de l'ensemble de la chaîne de traitement ou dans quels cas la responsabilité du producteur et du détenteur peut être partagée ou déléguée parmi les intervenants dans cette chaîne de traitement – et ce malgré les recommandations des directives communautaires sur les déchets de 1975 et 2008.

De fait, c’est aux seules juridictions qu’incombent de concrétiser ce principe. L’arrêt du 23 novembre 2011 est instructif sur ce point. La Haute juridiction administrative a, en effet, considéré qu’un propriétaire « innocent » (3), en somme dépourvu de tout lien avec l’origine de la pollution du sol, devait être considéré comme détenteur des déchets et le seul responsable de la prise en charge financière de leur élimination et de la remise en état du site. Cette décision s’inscrit dans la continuité d'une ligne jurisprudentielle cherchant à substituer le propriétaire dans les obligations de l’exploitant d’une installation classée en cas de défaillance ou de disparition de ce dernier. La recherche d’un responsable solvable n’est sans doute pas étrangère à cette évolution. En effet, dans un arrêt en date du 26 juillet 2011, le Conseil d’État avait jugé que le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets ne pouvait être regardé comme leur détenteur que si, d’une part, le détenteur de premier rang (producteur – détenteur des déchets) n’est pas connu et, d’autre part, il n’est « pas totalement innocent » . Dans cette hiérarchie jurisprudentielle des détenteurs de déchets, et donc dans la chaîne des responsabilités, le propriétaire n’est responsable que subsidiairement mais en substitution au détenteur initial, celui en l’occurrence qui est à l’origine de la production du déchet et qui n’est pas connu (producteur –détenteur).

Aucune allusion, dans l’arrêt du 23 novembre 2011, à ces conditions cumulatives. Cette acception de la notion de détenteur – déconnectée du principe pollueur-payeur -permet d’imposer au propriétaire, en toute hypothèse, l’élimination des déchets présents sur son terrain. Un maire peut donc valablement le désigner comme responsable alors qu’un exploitant d’une installation classée (même encore en activité) serait à l’origine de leur abandon ou dépôt (4). Peu importe également que le propriétaire ignore l’existence des déchets présents sur son terrain (5) . Au vu de ces dernières jurisprudences, on peut se demander si la possession de déchets, qui permet de définir le détenteur, implique encore la maîtrise effective de ceux-ci.

Une jurisprudence datée – A la date de la décision illégale à l’origine du contentieux indemnitaire (2001), un sol pollué pouvait lui-même être regardé comme un déchet (6).

La notion de déchet a toutefois évoluée sur ce point. En application de l’article 2 de la directive 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets, transposé en droit interne par l'ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010 (C. env., art. L. 541-4-1), il est désormais établi que les sols pollués non excavés n’ont pas le statut de déchets.

Ainsi, la solution du Conseil d’État n’a-t-elle vocation à viser que les propriétaires de sols pollués qui se seraient vus imposer une mesure de dépollution avant le 19 décembre 2010. Après cette date, la police des déchets ne saurait légalement constituer le fondement d’une mesure de dépollution de terres polluées non excavées. La nouvelle police des sites et sols pollués devrait prendre le relais (C. env., art. L. 556-1). En visant le responsable de la pollution des sols, on peut légitimement penser que le propriétaire devrait être épargné sur ce fondement.

 

Notes

1. CE, 6ème et 1ère ss-sect., 23 nov. 2011, n° 325334, Min. Écologie c/ Sté Montreuil Développement : JurisData n°     2011-025959.
2. V. notamment : CAA Marseille, 13 avril 2006, SCI Joëlle, req. n° 02MA00689 ; CAA Marseille, 16 mai 2011, SCI Niko Immobilier, req. n° 08MA04332.
3. Ph. Billet, Environnement, n°12, décembre 2011, comm. 131
4. V. en ce sens, CAA Lyon, 20 septembre 2011, Commune d’Issoire, req. n° 09LY00514
5. CAA Lyon, 22 février 2011, SCI Marquet, req. n° 09LY01887
6. CJCE, 7 sept. 2004, min. public c./ Van de Walle, aff. C-1/03 et CJCE, 24 juin 2008, Cne de Mesquer, aff. C-188/07

 

Par Astrid REBILLARD
Cabinet FIDAL, Avocat Associé,
Docteur en Droit, Spécialiste en Droit de l’environnement