Brexit : le Brevet Unitaire européen sera-t- il paralysé avant son entrée en vigueur ?

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Boris Uphoff et Laura Morelli,  Avocats, McDermott Will & EmeryQuelles seraient les conséquences du Brexit sur le Brevet Unitaire européen ?  Boris Uphoff et Laura Morelli,  Avocats, McDermott Will & Emery nous proposent des éléménts de réponse.

Le 23 juin 2016, les citoyens anglais vont tenir un référendum sur l’avenir de leur pays au sein de l’Union Européenne (UE). Si un vote en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’UE ("Brexit") devait intervenir, le nouveau système du Brevet Unitaire s’effondrerait vraisemblablement avant même qu’il ne soit entré en vigueur.

Le Brevet Unitaire a vocation à devenir l’un des titres de propriété intellectuelle les plus importants de l’Union Européenne. Récemment encore, l’entrée en vigueur du Brevet Unitaire était attendue au début de l’année 2017. Alors que le traditionnel "Brevet Européen" n’est pas, en réalité, un brevet unique mais un faisceau de brevets nationaux que les inventeurs peuvent obtenir, par la voie d’un dépôt unique, dans 38 pays séparément, le Brevet Unitaire confèrerait aux inventions une protection uniforme dans les 26 Etats Membres de l’UE participants. Un régime unique de taxes et une cour unique, la Juridiction Unifiée des Brevets (JUB), seraient mis en place. A la différence du titulaire d’un Brevet Européen qui pourrait, afin de faire valoir ses droits, être contraint, en théorie du moins, d’intenter des actions dans 38 pays, le titulaire d’un Brevet Unitaire serait en mesure de protéger ses droits, sur l’ensemble du territoire de l’UE, par le biais d’une action unique intentée devant la JUB. De nombreux coûts pourraient, ainsi, être évités.

Pour quelles raisons le vote du Brexit mettrait en péril le Brevet Unitaire ?

La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni sont, en Europe, les trois acteurs dominants du monde des brevets. Ainsi, il s’agit des trois pays qui attestent du nombre le plus élevé de dépôts de brevets en Europe. Par ailleurs, le français, l’allemand et l’anglais sont les seules langues dans lesquelles un Brevet Unitaire peut être déposé. Enfin, Paris, Munich et Londres sont les trois lieux d’implantation de la division centrale de la JUB.

En France, l’Assemblée Nationale a approuvé l’Accord sur la JUB du 19 février 2013 dès le 13 février 2014 et sa ratification a suivi un mois après. En revanche, le Royaume-Uni n’a pas encore ratifié l’Accord et il est permis de penser qu’il ne le fera pas avant le référendum du 23 juin 2016. "Si le Royaume-Uni venait à voter le Brexit, le scénario le plus probable serait que le système du Brevet Unitaire ait à être renégocié dans son ensemble" explique Boris Uphoff, Associé au sein du cabinet international McDermott Will & Emery. « Le règlement sur le Brevet Unitaire dispose qu’il n’entrera en vigueur qu’à la date de la ratification de l’Accord sur la JUB par 13 Etats Membres participants, y compris par les trois Etats Membres dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens produisaient leurs effets en 2011, à savoir en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Ce seul élément aura pour conséquence la suspension du Brevet Unitaire en cas de Brexit. En effet, en tant qu’Etat tiers à l’UE, le Royaume-Uni ne pourra pas participer au Brevet Unitaire", pense Boris Uphoff.

"Sans le Royaume-Uni, l’importance de son marché et sa réputation en matière de contentieux des brevets, le Brevet Unitaire perdrait une valeur considérable", ajoute Laura Morelli, Counsel au sein du bureau de Paris de McDermott.

Dans l’hypothèse d’un Brexit, nous n’aurons d’autre choix que de renoncer à Londres comme localisation pour la JUB et les juges anglais - qui comptent parmi les plus expérimentés en matière de brevets au sein de l’UE - ne pourront plus demander à devenir juges de la JUB.

Ainsi, si un vote en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’UE devait intervenir, les Etats Membres de l’UE restants auront à renégocier le système du Brevet Unitaire. Ils devront s’interroger quant à l’intérêt d’un Brevet Unitaire sans le Royaume-Uni. Les déposants de brevets pourront, bien évidemment, déposer à la fois une demande de brevet national auprès du Royaume-Uni et une demande de Brevet Unitaire pour le reste de l’UE, mais une telle double-demande ferait échec à l’économie de coûts du nouveau système du Brevet Unitaire, à supposer que le Brexit ne vienne pas anéantir entièrement le système.

En théorie, le Royaume-Uni pourrait ratifier l’Accord sur la JUB même après le vote du Brexit du 23 juin 2016. Si tel devait être le cas, le Royaume-Uni participerait au Brevet Unitaire pendant la période d’interim de deux ans, prévue par le Traité de Lisbonne pour les Etats Membres qui décident de sortir de l’UE. En pratique, la participation du Royaume-Uni au système du Brevet Unitaire, alors que le Royaume-Uni s’engage vers une sortie de l’UE, ne paraît pas envisageable, comme l’expliquent Boris Uphoff et Laura Morelli. Tout d’abord, la protection dont bénéficieraient les Brevets Unitaires sur le territoire du Royaume-Uni, après l’entrée en vigueur du Brexit, serait incertaine. Ensuite, la mise en place d’une section de la JUB à Londres puis son déplacement, quelques mois après seulement, n’aurait aucun sens. En outre, quand bien même Bruxelles et Londres accepteraient que le Royaume-Uni participe au système du Brevet Unitaire après le Brexit, le Royaume-Uni n’aurait pas de réel pouvoir judiciaire. Et, les juges anglais, affectés auprès des sections de la JUB de Paris et de Munich, devraient se retirer après que le Brexit soit entré en vigueur.

Si, en revanche, le Royaume-Uni venait à ne pas ratifier l’Accord sur la JUB du 19 février 2013 après le vote du 23 juin 2016, l’Accord devrait aussi être renégocié afin que la ratification du Royaume-Uni ne soit plus nécessaire à son entrée en vigueur. En l’absence d’une telle renégociation, cette exigence ne cesserait d’être requise qu’à la date de sortie effective du Royaume-Uni de l’UE.

Tel que le suggèrent les derniers sondages, le référendum du Royaume-Uni du 23 juin 2016 sera une course au coude-à- coude entre les supporters du Brexit et ceux qui sont en faveur du maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE. Nul doute, en revanche, qu’un Brexit aurait un impact dramatique sur le monde des brevets en Europe et sur le monde de la propriété intellectuelle en général, entraînant ainsi des répercussions importantes en matière notamment de marques de l’Union Européenne, dessins et modèles communautaires et retenues douanières.

Boris Uphoff, Associé  en charge des questions de propriété intellectuelle au bureau de Munich et Laura Morelli, Responsable du département Propriété Intellectuelle du bureau de Paris, McDermott Will & Emery


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