Projet industriel et commercial de l’initiateur d’une offre publique : l’AMF n’est pas juge de sa pertinence mais … de sa réalité

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Gérard Cohen et Kevin Flochlay, Avocats, Cohen Amir-AslaniTribune de Gérard Cohen et Kevin Flochlay, Avocats, Cohen Amir-Aslani.

Par une décision remarquée du 2 avril 2015, le collège de l’AMF a déclaré le projet d’offre publique d’échange initiée par la société Prologue sur les titres de la société O2I comme étant non-conforme aux dispositions législatives et réglementaires applicables. 

Pour parvenir à cette conclusion, le collège de l’AMF s’est appuyé principalement sur les conditions financières de l’offre, mais également sur le projet de rapprochement des deux sociétés tel que présenté par l’initiateur.

La décision relève que l’initiateur fait état d’un projet de rapprochement harmonieux avec la société O2I offrant "de nombreux leviers de création de valeur pour les deux groupes" et promettant "des perspectives renforcées de croissance et de rentabilité".

Cette référence au projet de l’initiateur peut surprendre dans la mesure où il est acté que, s’il appartient au collège de l’AMF de vérifier la régularité d’une offre publique au regard de la
loyauté et de la transparence du marché boursier," son contrôle ne porte pas sur celui de la finalité industrielle, commerciale et sociale de l’opération" (CA Paris 1ère ch. 27 oct.1993).

Mais si cette affirmation est exacte, elle doit être nuancée puisque, conformément à la législation applicable, l’information fournie au marché par l’initiateur doit être complète,
cohérente et compréhensible, ce qui est apprécié notamment au vu du projet de note d’information établi par l’initiateur.

Or, ce document doit préciser les intentions de l’initiateur, pour une durée couvrant au moins les douze mois à venir, en ce qui concerne la politique industrielle et financière qu’il entend
mettre en oeuvre à l’égard de la société visée, ainsi que ses orientations en terme d’emploi (article 231-18 3° du RGAMF).

La présente décision vient donc préciser que ce projet ne doit pas être une simple déclaration d’intention mais doit être justifié, ce que les services de l’AMF vérifient. De ce
fait, un certain contrôle du projet de l’initiateur est nécessairement mis en oeuvre, celui-ci ne portant pas sur sa "pertinence" mais sur celle de l’information divulguée au marché.

L’initiateur avait choisi de motiver son projet d’offre par l’existence de nombreuses synergies entre les sociétés, source de croissance et de rentabilité.

Cette affirmation, reconnaissons-le, est particulièrement séduisante pour tout actionnaire.

Pourtant, la société cible et son management ne partageaient pas cet avis puisqu’ils n’identifiaient aucune synergie entre les sociétés et remettaient en cause la pertinence de son projet.

Cette dernière analyse était corroborée par le rapport de l’expert indépendant, lequel concluait au caractère inéquitable de l’OPE en raison d’incertitudes sur le projet stratégique de l’initiateur, et par le rapport du commissaire aux apports, lequel n’avait pas non plus conclu au caractère équitable de la parité d’échange compte tenu des incertitudes pesant sur les éventuelles synergies créées par ce rapprochement.

Dans un souci de bonne information du marché et des actionnaires des sociétés concernées, il appartenait donc à l’initiateur d’étayer ses propos et de proposer des analyses chiffrées des « créations de valeurs » qu’il avait nécessairement réalisées avant le lancement de l’opération.

Ces analyses étaient d’autant plus nécessaires que ces créations de valeurs étaient présentées comme un point essentiel du projet d’offre publique.

En l’absence d’éléments précis, corroborant les dires de l’initiateur, l’AMF a donc estimé que l’information fournie par l’initiateur n’était ni complète ni cohérente.

Sur ce plan, la solution aurait pu être différente s’il avait motivé différemment son projet d’offre publique.

Il est vrai que la situation était particulière dès lors que le projet d’offre publique était dit "non-sollicité", c’est-à-dire que l’initiateur n’avait pas entrepris de discussions préalables avec la direction de la société cible.

Il convenait donc pour l’initiateur de séduire les actionnaires des deux sociétés et il ne pouvait pas se contenter de présenter un projet d’offre sans intérêt pour les actionnaires de la société-cible.

En conséquence, si le collège de l’AMF ne juge pas la pertinence du projet industriel et commercial de l’initiateur de l’offre, il vérifie la véracité des éléments d’information fournis au public à cet égard, et à tout le moins, que celui-ci aura les moyens de juger par lui-même de la pertinence de ce projet d’offre. Il conviendra donc à l’avenir, pour toute entreprise ayant l’intention de déposer une offre publique, de faire preuve de la plus grande vigilance quant à la motivation de son projet.

Gérard Cohen et Kevin Flochlay, Avocats, Cohen Amir-Aslani