Le CPE : un outil potentiel de valorisation dynamique du patrimoine immobilier

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William Azan et Damien Madoulé - Avocats - Azan Avocats Associés

William Azan et Damien Madoulé, Azan Avocats Associés, nous présentent le Contrat de Performance Energétique qui pourrait devenir l’outil de la réhabilitation énergétique du patrimoine immobilier français.

A condition de bien cadrer le concept juridique de garantie de performance énergétique, le Contrat de Performance Energétique peut devenir l’outil de la réhabilitation énergétique du patrimoine immobilier français et le moyen de respecter le facteur 4. Pour y parvenir, des outils réglementés de mesure, de contrôle, de financement et d’assurance seront sans doute indispensables.

Nouvelle figure juridique, le CPE (Contrat de Performance Energétique) est né sur les fonds baptismaux du Grenelle I de l’Environnement (loi n° 2009-967 du 3 août 2009). Il figure en bonne place dans la boite à outils juridiques du Grenelle de l’Environnement, pour reprendre l’image de son initiateur Jean-Louis BORLOO.

Comme le couteau suisse, multifonctions, le CPE recouvre de multiples hypothèses aussi variées que peut l’être la vie des affaires ou la gestion d’un parc immobilier public ou privé. Tant dans sa durée que dans sa forme, il répond tout aussi bien aux besoins de  rénovation de l’enveloppe des bâtiments anciens destinés au logement social qu’à ceux de l’amélioration de la performance énergétique de bâtiments à usage commercial plus récents.

Dans l’élaboration du corps de doctrine initié pour lutter contre l’émission des gaz à effet de serre, la rénovation thermique de notre patrimoine immobilier ne va pas seulement bouleverser la valeur de celui-ci, en la pondérant au travers de son étiquette énergétique. Elle va hisser peu à peu le concept de CPE au rang de concept juridique autonome, aux côtés du contrat d’entreprise lui-même.

Cette évolution réclame de la part des juristes de tous horizons l’effort conceptuel d’harmoniser les notions et les pratiques sans lesquelles le CPE serait un bel outil sagement rangé au fond de la caisse…Pour en généraliser l’usage, il faut à la fois en simplifier et en diversifier les contours en l’adaptant à des situations juridiques très différenciées (domaine public immobilier de l’Etat, bailleurs sociaux, copropriétés en déshérences, actifs de centres commerciaux…) en y intégrant une large dimension fiscale (sur le terrain de la TVA ou de la TFPB notamment).

Il s’agit pour autant d’un concept doté d’éléments invariants et communs, dans la mesure où l’équilibre du CPE repose sur une vision dynamique de la gestion immobilière. Désormais, un bien se conçoit et se finance aussi en considération de son potentiel énergétique sur sa durée d’amortissement et plus seulement en fonction de son coût de construction à un instant décisif, celui du démarrage du chantier.

Le bâtiment n’a plus alors une valeur patrimoniale calculée simplement sur le coût du marché de l’immobilier, mais également par rapport au gain énergétique qu’il représente pour les propriétaires et utilisateurs, les bailleurs et les locataires, comme les futurs investisseurs.

Ceux-ci et leurs banques feront bientôt du critère de performance énergétique un élément essentiel de la gestion de leurs actifs ou du financement des opérations de reconstruction dont ils seront saisis au stade des audits d’acquisition. On constate déjà que plusieurs sociétés de renommée internationale, désireuses d’afficher une politique de développement durable, font construire ou prennent à bail des immeubles « Haute Qualité Environnementale » en anticipant précisément ces nouvelles contraintes dans une stratégie immobilière dynamique.

Dans ce contexte, les juristes doivent parler d’une seule voix pour proposer à l’ensemble des acteurs de la filière une vision commune équilibrée des concepts sur lesquels la création du CPE s’appuiera bientôt. C’est une condition essentielle pour une place immobilière de qualité, soucieuse de sécurité juridique pour ses investisseurs.

La garantie de la performance énergétique est aujourd’hui la pierre angulaire de toutes les formes de CPE. En son absence, le CPE n’est rien de plus qu’une simple variété de contrat d’entreprise. Avec elle, il propose un dispositif complet intégrant la conception, la construction et l’exploitation, tant au plan opérationnel que juridique.

En nous appuyant sur notre expérience de mise en œuvre opérationnelle de plusieurs de ces contrats, nous cherchons à définir les contours du concept juridique de garantie de performance énergétique, pour esquisser ensuite une première classification des différentes formes de CPE et contribuer au travail mené par notre confrère Me Ortéga, à la suite de Me Philippe Pelletier, pour recenser les freins au développement de ce type de contrat.

1. La Garantie de Performance Energétique, cause juridique commune des contrats de performance énergétique.

Au-delà de simples engagements commerciaux, probablement destinés à renouveler l’offre des entreprises de services énergétiques ou assimilés, le terme de garantie se conçoit comme un engagement de résultat pérenne par lequel l’entreprise s’engage à compenser l’écart des consommations réellement constatées avec celles de l’étude prévisionnelle accordée au client et sans laquelle il n’aurait pas contracté.Cette forme d’obligation de résultat sera, en droit privé comme en droit public, la cause juridique du CPE. 

Le contrat sera, sur le fondement de l’article 1134 du Code civil, annulé lorsque cet engagement sera tronqué ou détourné de telle sorte que le consentement du client aurait été vicié.

En cas d’écart entre ce qui a été prévu et ce qui a été constaté contradictoirement, un mécanisme de responsabilité contractuelle de la société de services énergétiques est susceptible d’être mis en œuvre à première demande du propriétaire.

Ceci posé, le CPE repose selon nous sur un dispositif contractuel assez simple dans sa définition, à savoir qu’il peut être défini comme un engagement synallagmatique d’un prestataire, assurant à son cocontractant un niveau de consommation d’énergie utile pendant toute la durée du contrat.Si le prestataire doit prendre à sa charge la différence constatée contradictoirement entre la consommation réelle et son engagement contractuel, à l’inverse un système d’intéressement doit être établi afin de l’inciter à conserver tout au long du contrat un haut niveau qualitatif de gestion.

Une telle obligation de résultat nécessite de facto un système de contrôle objectif et contractuellement défini dans un cadre réglementaire stabilisé. Dans la pratique, les parties devront s’accorder successivement sur les éléments de mesure et de contrôle tels que : le référentiel commun (baseline), la performance énergétique, l’instrumentation contradictoire des relevés de consommation d’énergie finale constatés sur la durée du contrat et les mécanismes préparatoires d’indemnisation pour le compte de tiers si la performance énergétique effective est éloignée de ses canons conventionnels.

A l’instar de ce système de contrôle, le référentiel commun (baseline) est essentiel car il faut garder à l’esprit que l’entreprise de service thermique s’engage sur un objectif qui pourra être influencé par des facteurs externes, par exemple le comportement des occupants des lieux pour lesquels la dépense énergétique va peser de plus en plus lourdement dans les prochaines années.

Cette question rend particulièrement urgente l’approbation par le gouvernement d’un protocole technique contradictoire afin de servir d’étalonnage réglementaire de la situation de référence et certifier les écarts sur la base desquels le client et son prestataire établiront la part variable de la rémunération de ce dernier ou la sanction du défaut de performance énergétique.Il existe à ce jour plusieurs protocoles susceptibles d’inspirer le gouvernement dans cet exercice, tel que le protocole IPMVP. Il en existera d’autres demain, à la mesure de la créativité des ingénieurs et des thermiciens.

Dans le maquis des normes et référentiels, l’exercice réglementaire le plus urgent sera double : d’une part, établir un référentiel réglementaire permettant la comparaison entre les résultats énergétiques et les estimations prévisionnelles ; d’autre part, pour éviter des contentieux aussi probables que potentiellement désastreux pour l’ensemble de la filière, il nous semble incontournable d’appeler à la création d’une nouvelle profession réglementée sur le modèle des géomètres experts, afin de parer à toute contestation sur le diagnostic énergétique de référence ou la mesure des écarts en cours d’exécution de contrat.

La garantie de la performance énergétique sert également d’outil d’interprétation de l’ensemble des prestations offertes par les société de service énergétiques (SSE ou ESCO).Elle sera en effet le tronc commun au travail de calibrage des concepteurs (choix entre telle ou telle forme d’énergie), des architectes (travaux d’enveloppe), des entreprises de travaux puis des équipes en charge de la maintenance des équipements (pour l’utilisation effective des provisions constituées ou la prévention des incidents d’exploitation).

Le CPE ne doit pas être appréhendé comme un contrat global, n’intéressant que les entreprises qui exercent une activité d’ensemblier pouvant concentrer à la fois des compétences de gros œuvre, de travaux, de thermiciens, de maintenance, d’exploitation et parfois même de financement sur des durées supérieures à 15 ans afin d’assurer le taux de retour sur investissement.Les contrats pourront aussi prendre des dimensions moins importantes sur des durées moins longues et il est indispensable de permettre aux PME de constituer des groupements pour répondre précisément à ces offres tout en garantissant ensemble une performance énergétique.Cette nécessaire ouverture aux PME ne trouvera son salut que par l’implication de leurs partenaires des métiers de l’assurance, afin de garantir la performance énergétique elle-même.

Rejoignant Monsieur le Professeur Périnet Marquet, nous considérons que tôt ou tard le législateur, comme la jurisprudence des Hautes Assemblées, alignera la performance énergétique du bâtiment sur le droit commun de la responsabilité décennale des constructeurs, considérant que l’atteinte des objectifs limités de dépenses énergétiques d’un bâtiment (une fois assuré du respect des usages de celui-ci au travers de la "baseline" utilisateurs) entre effectivement dans le cadre des articles 1790 et 2270 du Code civil afin de s’assurer que l’Immeuble est bien conforme à sa destination.

Cette logique d’intégration ne doit cependant pas écarter les PME de ce vaste marché potentiellement fructueux pour elles.

2- Le CPE : un contrat polymorphe.

Le CPE peut sembler hermétique au premier abord, puisqu’il regroupe différentes compétences techniques, juridiques et parfois même financières, dans un cadre contractuel non achevé à l’instant où cet article est rédigé.En outre, il sera le plus souvent couplé à une réhabilitation « classique » dite de « confort » de l’immeuble pour des raisons de mutualisation des coûts et de pilotage et coordination du projet.  

Mais si le CPE est polymorphe par sa composition ou le régime qui lui est applicable, il l’est aussi, ou peut-être même davantage, en fonction du secteur auquel il s’applique.Les problématiques seront ainsi différentes selon les secteurs et les propriétaires concernés :

- personnes publiques ;

- bailleurs sociaux privés et publics ;

- copropriétés privées ;

- activités tertiaires…

A titre d’exemple, les personnes publiques soumises au Code des marchés publics peuvent être confrontées à l’interdiction des paiements différés (article 96 dudit code), les bailleurs sociaux à la limitation de refacturation à leur locataire des travaux pour amélioration énergétique, en application de la loi MOLLE qui prohibe tout dépassement de plus de 50% des économies d’énergies sur une durée limitée à 15 ans.  Dés lors, chaque secteur connait des réglementations différentes qui doivent être prises en considération. 

Néanmoins le CPE a pour ultime but, selon nous, d’engager un prestataire sur une garantie de résultat de la consommation réelle du bâtiment après réhabilitation, les autres engagements étant des obligations annexes dont il est nécessaire de déterminer s’il est intéressant de les inclure ou non dans le champ contractuel.

Une des problématiques récurrentes de ce type de contrat repose sur les différents modes de financement qui peuvent y être adossés.Le CPE pouvait être conçu comme un contrat qui s’autofinançait : à charge constante pendant toute la durée du contrat, les économies d’énergies venaient rembourser les investissements.

Mais en pratique, les gains énergétiques constatés ne couvrent pas la totalité de l’investissement et de l’entretien ; un mécanisme de soulte versée par les utilisateurs au propriétaire est le plus souvent nécessaire à l’équilibre de ce type de projet.

De plus, nombre de propriétaires ne disposent pas de fonds propres suffisants pour s’engager dans des programmes de réhabilitation de leurs bâtiments, le rendement énergétique ne pouvant être fructueux qu’après la réception des travaux. 

Dès lors, le financement doit être externalisé et de deux choses l’une, soit il sera possible de bénéficier de prêts à taux attractif tels ceux actuellement proposés par la Caisse des Dépôts, soit le financement devra émaner du prestataire en charge de la réhabilitation énergétique.

Se pose alors la question du recours au tiers investissement pour le préfinancement des contrats de performance énergétique.Ce financement externe implique la nécessité pour les sociétés de services énergétiques (SSE) de contracter des garanties auprès des établissements bancaires de premier rang.A ce jour, on relève plutôt une tendance générale des entreprises françaises à proposer des garanties de faible intensité, telle la caution ou la garantie à première demande de la maison mère de la société, là ou leurs concurrents internationaux sont beaucoup plus ambitieux.Cette proposition de garantie faible ne saurait à elle seule répondre aux attentes de sécurisation financière de la commande publique ou des bailleurs sociaux.

Il en sera de même lorsque les spécialistes du secteur de la copropriété se pencheront sur la question de la transposition du CPE à ce domaine spécifique comme outil de rénovation d’un parc ancien que chacun s’accorde à considérer comme vétuste et particulièrement énergivore.L’heure est proche d’une prise de conscience par les organismes de copropriétaires de la moins-value qui affectera le patrimoine individuel de chacun d’eux faute d’une mise à niveau collective de leur patrimoine bâti commun ; il en est de même de l’intérêt des SSE à proposer une garantie financière attachée au préfinancement des travaux de performance énergétique. Le CPE peut représenter un levier intéressant pour faire face à un tel défi.

Outre la "professionnalisation" des syndics de copropriétés dans le domaine des économies d’énergie, du recours à une profession réglementée pour arbitrer la relation client /prestataire, il nous semble que l’aménagement de garanties contractuelles extrinsèques pour le titulaire sera un gage de succès pour l’ensemble de cette filière.Plusieurs pistes de réflexion s’offrent à nous d’ores et déjà. 

La première, d’initiative publique sur le modèle de la Belgique, est de créer des SSE publiques dont la rentabilité du capital de départ ne serait pas la première priorité. Leur fonctionnement reposant sur les règles de transparence et d’efficacité, selon les lois de service public, serait le principal gage du succès de ce type de dispositif. La garantie d’une signature publique serait alors proposée aux clients, notamment les particuliers ou les petites copropriétés.Cette solution pose de multiples questions et se heurte à des obstacles sérieux sur le terrain du droit de la concurrence, mais aussi au plan de la présentation de la dette publique et partant, du respect des engagements communautaires de la France.

D’autres solutions nous semblent plus adaptées car de mise en œuvre relativement simple et rapide.

Le CPE peut, d’un commun accord entre les parties, prévoir un compte de provision séquestré entre les mains d’un tiers de confiance, un établissement bancaire de premier rang régulièrement agréé à cet effet.Ce compte, alimenté par chacune des parties au fur et à mesure de l’exécution du contrat, serait libéré au profit du client ou du prestataire sur la simple attestation d’un expert inscrit sur la liste de la profession réglementée que nous appelons de nos vœux.De même, les économies d’échelle d’un système d’assurance obligatoire de la performance énergétique constituent un levier incontournable du CPE.

En tout état de cause, le CPE est LE contrat permettant la réhabilitation énergétique de bâtiments aujourd’hui déficients ; il doit donc être envisagé non seulement comme un moyen de développement durable, mais aussi et surtout comme une valorisation dynamique du patrimoine immobilier, dont chacun sait qu’il est aujourd’hui l’une des principales richesses de la nation.La rénovation thermique de ce patrimoine n’est pas seulement un indispensable engagement citoyen à l’égard de générations futures, mais également l’instrument d’une plus vaste politique économique.

William Azan, Avocat Associé

Damien Madoulé, Avocat Collaborateur


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