CEDH : la "justice à visage humain" sème le doute

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Les risques pris par le président d'une cour d'assises qui a effectué une visite chez une partie civile à la veille d'un procès pénal justifient l'instauration de doutes quant à son impartialité et celle de la cour d'assises dans son ensemble. La CEDH conclut à la violation de l'article 6 de la Convention. 

Dans le cadre d'une procédure pénale à l'encontre du requérant, l'ayant condamnée à une peine de réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre de ses deux enfants, celui-ci a déposé une requête de prise à partie devant la Cour de cassation belge, contre le président de la cour d'assises. En effet, le requérant invoque la partialité du président de la cour d'assises qui a effectué, à la veille du procès le condamnant, de son chef, une visite chez la mère des enfants victimes - donc une partie civile. Alors que sa requête a été rejetée par la Cour, le requérant a saisi la Cour européenne des droits de l'homme pour violation de son droit à un procès équitable (article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme).

Par un arrêt rendu par la Cour de Strasbourg, le 31 août 2021 (requête n° 61344/16), celle-ci condamne l'Etat belge pour violation de l'article 6 de la Convention, à l'unanimité. Selon les juges européens, si le requérant prétend que le président de la cour d'assises a témoigné de la "compassion" à l'égard de la mère des victimes, peu important que le juge estime avoir simplement fait preuve de courtoisie en lui souhaitant "bon courage pour le procès", puisque la "manifestation de simples sentiments de courtoisie ou de compassion à l'égard d'une partie civile ne peut s'assimiler à l'expression d'un parti pris […] et qu'elle peut au contraire s'analyser comme l'expression d'une justice à visage humain".

Or, l'initiative de visite ayant été prise par le président, seul, sans la présence de témoin, le risque inhérent à cet acte volontaire demeure critiquable. En effet, celui-ci pouvait légitimement faire naître le doute quant à son impartialité à l'égard du requérant.

S'il est vrai qu'au vu des règles de procédure pénale belge en vigueur au moment du procès, il apparaît que le jury populaire a délibéré seul sur la culpabilité du requérant, il n'empêche que le président a pris part à la rédaction de l'arrêt de motivation du verdict des jurés, à la délibération sur la peine et à l'arrêt de la cour d'assises. De plus, son rôle de chef d'orchestre dans la conduite des débats au procès a largement pu favoriser une version de l'histoire plutôt qu'une autre.

Dès lors, "la Cour considère que la conduite du président a à tout le moins pu faire naître des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité objective et ainsi remettre en cause l'impartialité de la cour d'assises elle-même pour connaître du bien-fondé de l'accusation pénale dirigée contre le requérant" et conclut à la violation de l'article 6 de la Convention.

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