La mission de réflexion présidée par Elisabeth Guigou remet son rapport sur la présomption d’innocence

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Le groupe de travail sur la présomption d’innocence présidé par Elisabeth Guigou, ancienne ministre de la Justice a remis son rapport à Eric Dupond-Moretti, actuel garde des Sceaux. Le groupe de travail formule 40 propositions avec l'ambition de susciter un débat dans l’ensemble de la société et de nourrir utilement les travaux des Etats généraux de la justice qui seront lancés lundi 18 octobre à Poitiers.

Eric Dupond-Moretti avait confié au groupe de travail la mission de dresser un état et une analyse des atteintes portées au principe constitutionnel de la présomption d’innocence dans notre société contemporaine, afin de faire des propositions utiles sur les moyens législatifs, réglementaires ou pratiques susceptibles de mieux en assurer le respect.

Le groupe de travail composé de 13 membres magistrats, avocats, journalistes, enquêteurs a procédé à l’audition de plus de 80 personnes et a bénéficié de nombreuses contributions écrites venues d’horizons variés.

Ce rapport recense 4 pistes de réflexions permettant de décliner 40 propositions visant à renforcer la prévention des atteintes :

-        L’éducation des citoyens aux grands principes du droit et au fonctionnement de la justice,

-        La formation des acteurs de la justice et des professionnels en lien avec l’institution judiciaire,

-        Le renforcement de la communication de la justice sur son fonctionnement et son action,

-        L’adaptation du dispositif civil et pénal à l’inflation des atteintes, notamment lorsqu’elles sont commises sur internet.

Le groupe de travail a constaté que les atteintes à la présomption d’innocence découlaient en grande partie d’une méconnaissance du fonctionnement de l’institution judiciaire. Aussi, ont été formulées sept propositions visant à développer la connaissance sur l’Etat de droit et le fonctionnement de la justice par l’éducation. Il s’agit ainsi principalement de développer des actions de sensibilisation, particulièrement à destination du jeune public, sur ces thématiques ainsi que sur les dangers d’un mauvais usage des outils numériques.

Par ailleurs, le groupe de travail a formulé douze propositions visant à mieux former les acteurs de la justice et les professionnels en lien avec l’institution judiciaire. Il propose de sensibiliser davantage les futurs professionnels du droit aux conséquences des atteintes à la présomption d’innocence et d'intégrer à leur formation des modules leur permettant de mieux appréhender la mise en œuvre de ce principe. De même, il recommande de renforcer la formation au droit des journalistes.

Cinq propositions sont aussi formulées pour renforcer la communication de la justice sur son fonctionnement et son action . En effet, il ressort d’un grand nombre

Il s'agit de renforcer la communication institutionnelle du ministère de la justice, ainsi que la communication des cours d’appel et des tribunaux judiciaires, associant les magistrats du siège et du parquet, tant sur les affaires en cours et les décisions rendues que sur la politique de juridiction mise en œuvre. Il est également apparu qu’une meilleure compréhension du système judiciaire passait par un renforcement de la prise en charge globale des victimes.

Le groupe de travail a formulé seize propositions pour adapter le dispositif civil et pénal à l’inflation des atteintes, notamment quand elles sont commises sur internet, afin de renforcer la protection tant du principe procédural que du droit subjectif individuel à la présomption d’innocence.

Le groupe de travail a notamment relevé que la problématique de la détention provisoire, et notamment de sa durée, ne saurait être dissociée de celle des moyens alloués aux juges des libertés et de la détention pour remplir l’ensemble de leurs missions qui n’ont cessé de s’accroître depuis la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000.

Le groupe de travail a aussi rappelé l’importance du secret de l’enquête et de l’instruction qui, au-delà de la préservation de l’efficacité des investigations, a vocation à protéger la présomption d’innocence de la personne mise en cause.

La préservation du secret de l’enquête et de l’instruction n’est cependant pas incompatible avec l’introduction d’une publicité strictement encadrée, dans le cadre de l’information judiciaire, qui serait de nature à faire cesser certaines atteintes à la présomption d’innocence. Une proposition est formulée, visant à modifier les articles 177-1 et 212-1 du code de procédure pénale afin de favoriser la publication des décisions de non-lieu ou d’un communiqué pour faire connaître cette décision, sauf opposition de la personne concernée. De même, les auteurs du rapport proposent une modification de l’article 199 du code de procédure pénale serait utile afin de prévoir que, passé un certain délai de procédure, et sauf risque d’entraves aux investigations, la chambre de l’instruction est tenue de faire droit à la demande de publicité des débats formulée par le mis en examen, lorsqu’il a été mis en cause publiquement.

Enfin, face au constat que les réseaux sociaux facilitaient dangereusement les atteintes à la présomption d’innocence, le groupe de travail a formulé des propositions visant à renforcer les dispositifs de régulation tout en estimant que seule une approche européenne peut rendre pleinement efficace.

Pour Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice « ces propositions d’une très grande qualité constituent une base solide pour susciter un véritable débat dans l’ensemble de la société et nourrir les travaux qui seront dès la semaine prochaine engagés dans le cadre

LES 40 PROPOSITIONS

Mieux éduquer : développer la connaissance sur l’Etat de droit et le fonctionnement de la justice

Proposition n° 1 : amplifier les actions pédagogiques d’accès au droit pour augmenter significativement le nombre de jeunes bénéficiaires.

Proposition n° 2 : organiser une journée nationale de l’Etat de droit.

Proposition n° 3 : intégrer, au collège et au lycée, une séquence spécifique de l’éducation morale et civique à la présomption d’innocence.

Proposition n° 4 : développer de nouveaux partenariats entre le monde judiciaire, particulièrement le ministère de la Justice, et l’Education nationale, pour aider à la sensibilisation des élèves aux grands principes du droit et singulièrement à la présomption d’innocence.

Proposition n° 5 : poursuivre les politiques d’éducation à l’usage des outils numériques dans l’enseignement primaire et secondaire, en soulignant l’importance du respect de la présomption d’innocence sur internet.

Proposition n° 6 : mieux sensibiliser les citoyens, par des spots publicitaires audiovisuels, radiophoniques et numériques, et à partir des évènements existants (nuit du droit, journées portes ouvertes de la justice, journées européennes du patrimoine, mais aussi journées défense et citoyenneté…), aux principes fondamentaux du droit, et notamment à la présomption d’innocence.

Proposition n° 7 : créer un « Pass droit » afin d’intégrer au « Pass culture » gratuitement des ouvrages sensibilisant les jeunes de 18 ans aux enjeux des grands principes du droit, et notamment à la présomption d’innocence.

Mieux former pour redonner sa force à un principe fondamental de l’Etat de droit

Proposition n° 8 : dans la formation initiale des magistrats, introduire des séquences pédagogiques dans les enseignements magistraux sous forme de conférences faisant intervenir des professionnels du droit mais également des justiciables accusés à tort pour témoigner de leurs propres expériences et des manquements dont ils ont personnellement souffert, et pour sensibiliser les magistrats à L’influence du contexte médiatique. Dans la formation continue des magistrats, créer un module dédié au principe de la présomption d’innocence sous forme de colloques ou de rencontres sur le sujet entre des magistrats et des justiciables pour favoriser les échanges et renouer le dialogue.

Proposition n° 9 : poursuivre la sensibilisation des gendarmes et des policiers au principe de présomption d’innocence en ce qu’elle constitue une obligation légale et morale, et rappelant sa valeur constitutionnelle ainsi que les sanctions encourues en cas de violation. Des formations interactives faisant intervenir des magistrats, avocats ou des personnes ayant subi des atteintes à leur présomption d’innocence pourraient être envisagées.

Proposition n° 10 : mieux accompagner et contrôler l’usage des réseaux sociaux dans la gendarmerie et la police nationale, en sensibilisant les militaires et les fonctionnaires aux risques de méconnaissance du secret de l’enquête, en recourant à des retours d’expérience, en prenant des exemples illustrant les conséquences tant pour le militaire ou le fonctionnaire que pour la personne victime d’une atteinte à la présomption d’innocence.

Proposition n° 11 : mettre en place une sensibilisation particulière à la présomption d’innocence dans les écoles d’avocats.

Proposition n° 12 : développer les actions de formation nationales, déconcentrées, et croisées entre les écoles de formation des magistrats, avocats et journalistes sur les principes fondamentaux du droit.

Proposition n° 13 : inciter la Commission paritaire nationale de l’emploi des journalistes à inscrire dans le « Référentiel des formations au journalisme » une sensibilisation aux grands principes fondamentaux du droit, dont la présomption d’innocence.

Proposition n° 14 : inciter chaque groupe de presse à se doter d’une charte éthique dans laquelle le principe de la présomption d’innocence est clairement établi et défini dans son champ d’application.

Proposition n° 15 : inciter les organes de presse à avoir un dialogue direct avec les plaignants afin qu’ils obtiennent une réponse ou une rectification de propos publiés ou diffusés portant atteinte à leur présomption d’innocence.

Proposition n° 16 : intégrer la question la présomption d’innocence dans les concours des professions judiciaires (magistrats, avocats, forces de sécurité).

Proposition n° 17 : permettre à des binômes associant un professionnel du droit (magistrat ou avocat) et un étudiant en droit d’intervenir en milieu scolaire sur la notion de la présomption d’innocence.

Proposition n° 18 : encourager la recherche pluridisciplinaire sur le principe de la présomption d’innocence.

Proposition n° 19 : prendre l’initiative de la rédaction et de la diffusion d’un guide pratique de la présomption d’innocence, à l’intention des professionnels en lien avec l’institution judiciaire, des acteurs de la vie publique et associative, et d’un public large.

Mieux expliquer : renforcer la communication de la justice sur son fonctionnement et sur son action


Proposition n° 20 : professionnaliser et organiser la communication institutionnelle de la justice en s’appuyant sur les services du ministère de la Justice, et développer une stratégie visible de communication sur les grands principes et le fonctionnement de l’institution judiciaire.

Proposition n° 21 : doter chaque cour d’appel et juridictions du groupe 1 d’une équipe de magistrats chargés de communication.

Proposition n° 22 : renforcer la communication du parquet sur les informations judiciaires, en lien avec les magistrats instructeurs.

Proposition n° 23 : développer une communication concertée entre les magistrats du parquet et du siège relative aux décisions rendues à l’échelon des cours d’appel et de certains tribunaux judiciaires, en désignant des porte‐paroles ayant bénéficié d’une formation ad hoc.

Proposition n° 24 : créer un observatoire indépendant des rapports justice‐société.

Améliorer la protection pénale

Proposition n° 25 : poursuivre le travail d’identification des dispositions du code de procédure pénale dont la formulation est susceptible de remettre en cause la présomption d’innocence de la personne mise en cause, et envisager le cas échéant leur modification ou l’adoption de pratiques susceptibles de l’éviter.

Proposition n° 26 : prévoir des dispositions qui imposent une motivation spéciale, notamment en matière de prolongation de la détention provisoire en matière correctionnelle, au‐delà de huit mois ou rejetant une demande de mise en liberté concernant une détention de plus de huit mois, en prévoyant que les décisions doivent comporter l’énoncé des considérations de fait sur le caractère insuffisant des obligations de l’assignation à résidence avec surveillance électronique mobile ou du dispositif électronique mobile anti‐rapprochement lorsque cette mesure peut être ordonnée au regard de la nature des faits reprochés.

Proposition n° 27 : modifier l’article 199 du code de procédure pénale afin de prévoir que, passé un certain délai de procédure, et sauf risque d’entraves aux investigations, la chambre de l’instruction est tenue de faire droit à la demande de publicité des débats déposée par une personne mise en cause publiquement.

Proposition n° 28 : modifier les dispositions des articles 177‐1 et 212‐1 du code de procédure pénale, afin de prévoir que le magistrat instructeur ou la chambre de l’instruction doit procéder à la publication intégrale ou en partie d’une décision de non‐lieu prise au profit d’un mis en examen, ou d’un communiqué pour faire connaître cette décision, sauf opposition de la personne concernée.

Proposition n° 29 : rendre plus effective dans les pratiques l’utilisation les passerelles entre le statut de mis en examen et de témoin assisté en cours de procédure lorsque les indices contre le mis en examen s’amenuisent.

Rendre la protection civile de la présomption d’innocence plus efficace

Proposition n° 30 : renforcer la formation des professionnels et l’information du grand public concernant la procédure de l’article 9‐1 du code civil.

Proposition n° 31 : permettre au procureur de la République d’engager la procédure fondée sur l’article 9‐1 du code civil pour faire cesser les atteintes à la présomption d’innocence.

Proposition 32 : conduire une réflexion plus approfondie afin d’expertiser la perspective de l’extension de l’article 9-1 du code civil aux atteintes à la présomption d’innocence même en l’absence d’une procédure pénale en cours.

Proposition n° 33 : mener une réflexion en vue d’un allongement la durée du délai de prescription de l’action fondée sur l’article 9‐1 du code civil.

Proposition n° 34 : faire clarifier, par la loi, les règles applicables à la reprise des délais de prescription prévus par l’article 65‐1 de la loi du 29 juillet 1881.

Pour une régulation des réseaux sociaux

Proposition n° 35 : mener une réflexion pour articuler les actions fondées sur la procédure prévue par l’article 9‐1 du code civil avec la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique afin de rendre plus efficace la protection des atteintes à la présomption d’innocence sur les réseaux sociaux.

Proposition n° 36 : engager une réflexion d’évolution normative pour prévoir que la publicité des décisions constatant la méconnaissance de la présomption d’innocence soit équivalente à celle consacrée aux contenus ayant porté atteinte à ce principe.

Proposition n° 37 : soutenir l’application territoriale du règlement européen aux opérateurs de plateformes en ligne en considération du lieu du pays de destination et non du lieu du siège social des opérateurs.

Proposition n° 38 : obliger les plateformes en ligne à désigner un point de contact opérationnel ainsi qu’un représentant légal dans au moins un des Etats membres lorsque le prestataire n’a pas son principal établissement sur le territoire de l’Union européenne.

Proposition n° 39 : élargir le champ d’application de l’article 6‐I‐7 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique notamment aux atteintes à la présomption d’innocence.

Proposition n° 40 : examiner la possibilité de se fonder sur les dispositions de l’article 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne pour réguler les réseaux sociaux en sanctionnant les atteintes à la présomption d’innocence.