Monsieur Dupond-Moretti, développons la médiation

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Eric Guérin, Président de la CMJ de France, adresse une lettre ouverte au ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti dans laquelle il invite ce dernier à développer la médiation afin de remédier à la crise de la justice civile.

Monsieur le ministre, nous nous réjouissons que notre nouveau Garde des Sceaux soit un praticien. Votre carrière d’avocat pénaliste vous permet en effet d’avoir une bonne vision de ce qui fonctionne et dysfonctionne au sein de notre système judiciaire. Fin connaisseur du système pénal, nous souhaiterions attirer votre attention du côté de la justice civile, commerciale, sociale, administrative, etc.

Dans ce domaine-là, il nous semble nécessaire de simplifier, repenser, moderniser, réadapter la justice. Celle-ci pâtit en effet à la fois d’une surproduction législative et d’un sous-effectif de juges professionnels.

La crise sanitaire n’a fait qu’aggraver cette situation au point que le citoyen se trouve aujourd’hui confronté d’abord à une incompréhension face à des règles qui s’empilent quand elles ne se contredisent pas puis à une difficulté voire une impossibilité de rencontrer physiquement un juge qui peut désormais recourir à la procédure sans audience.

Devant cette déshumanisation de notre système judiciaire, nous, membres de la Compagnie des Médiateurs de Justice de France (CMJ), attirons votre attention sur le fait que les Modes Alternatifs de Règlement des Différends (MARD), en particulier la médiation, ont une place réelle, certaine et incontournable.

Replacer le justiciable au cœur de la réflexion

Il est grand temps de replacer le justiciable au cœur de la réflexion. C’est dans cette optique que la Compagnie des Médiateurs de Justice de France, dont les membres sont des acteurs de la médiation depuis plusieurs décennies pour certains, serait heureuse de contribuer au débat. Nous nous mettons ainsi à la disposition de votre ministère, comme nous le faisons déjà au sein des tribunaux, afin de déployer ensemble la médiation comme il se doit.

La Chancellerie a, depuis de nombreuses décennies, exprimé le souhait de voir se déployer davantage ce formidable processus amiable. Partout sur le territoire, des précurseurs se sont lancés, pratiquant la médiation, créant leurs propres centres. Cependant, nous ne sommes encore que des pionniers. Les années passent et le déploiement est à la peine. Pourtant, la médiation a tant à apporter aux justiciables : des délais courts, un coût maîtrisé, des décisions prises par les parties elles-mêmes. Tout cela contribue à une justice plus simple, plus humaine, plus juste et moins onéreuse.

Ne pas oublier l’aspect psychologique et émotionnel

La justice est une institution et pas seulement une administration avec pour seul objectif de rendre des jugements dans une pure logique d’évacuation des stocks. Rendre des jugements qui ne seront pas compris, c’est éloigner un peu plus le justiciable de ce qui est par essence la finalité de la justice : maintenir la paix sociale. N’est-il pas plus opportun de faire le choix de l’attention, de l’écoute et de la qualité ?

L’avantage de la médiation est de permettre au citoyen de garder la maitrise de son différend et d’être responsable de son issue. Avec l’aide d’un tiers-neutre, sous le sceau de la confidentialité, tous les aspects du conflit dans ses origines, causes et conséquences peuvent être abordés mais aussi appréhendés sous l’angle psychologique, social, économique. Un dialogue respectueux des intérêts de chacun peut être ainsi renoué et constituer le gage d’un accord. Cela permettrait indéniablement à la justice de se réorganiser avec les moyens qu’elle a, afin qu’elle puisse produire des décisions judiciaires pour les situations où les parties n’ont pas pu trouver de solution, soit totale, soit partielle. En effet, il est indéniable que les règlements amiables désengorgeraient les tribunaux.

Quelques impulsions prises au meilleur niveau décisionnel pourraient efficacement contribuer au développement rapide de la médiation :

  • Informer les citoyens sur le rôle d’un tiers de confiance (médiateur-conciliateur) dans ses capacités à aider les parties par empathie, écoute, dialogue et réflexion, à trouver elles-mêmes la solution à leur litige.
  • Orienter préalablement à la saisine du juge les parties en conflit vers les modes de règlement amiable.
  • Former les professionnels du droit dans un cursus commun sur les processus amiables.
  • Garantir la qualité et la compétence des médiateurs.

Pour que le recours au juge devienne l’exception et la médiation le principe, une volonté politique doit être clairement affichée. Nous souhaitons, en tant que praticiens de la médiation, prendre à vos côtés toute notre part à son développement et son déploiement.

Eric Guérin, Président de la CMJ de France