La médiation à l’heure du COVID-19

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Christiane Féral-Schuhl, médiatrice agréée CMAP, et Présidente du Conseil national des barreaux, revient pour le Monde du Droit sur la procédure de médiation pendant la période sanitaire actuelle marquée par l'épidémie de Covid-19 ayant entraîné la fermeture des juridictions.

Il est établi que, lorsque la justice est engorgée, paralysée, lorsqu’elle ne répond pas ou plus aux impératifs d’urgence, la paix sociale est menacée et le retour aux rapports de force et de violence se profilent.

Or, actuellement, dans le contexte inédit et inquiétant du Covid-19, la justice est tout simplement à l’arrêt ! En effet, en matière civile, commerciale, prud’homale, toutes les procédures sont suspendues. Au mieux, la reprise est envisagée à partir du mois de juin. 

Dans le même temps, le contexte économique et social soulève, plus que jamais, des tensions au sein des entreprises qui sont confrontées, aujourd’hui encore plus qu’hier, à l’urgente nécessité de trouver des solutions aux conflits sociaux et économiques qui émergent rapidement. Le recours à la médiation est une voie impérative pour apporter des réponses compatibles avec ce double objectif d’urgence et d’efficacité.

J’ai eu la chance de découvrir la médiation très tôt, dès les années 1990. J’exerce depuis les fonctions de médiateur agréé auprès du CMAP. Je peux donc en toute objectivité constater les résultats de ces médiations qui permettent de soustraire au monde judiciaire des différends, ouvrant souvent la voie à des solutions originales et à la poursuite des relations entre les parties.

En effet, dans la quasi-totalité des médiations que j’ai eues à connaître, une solution durable et satisfaisante pour les deux parties a pu être trouvée. En soi, ce simple constat justifie le recours à la médiation.

J’ai toujours encouragé à titre personnel et auprès de mes clients ce mode alternatif. Sous mon bâtonnat, j’ai d’ailleurs déclaré 2013 l’année de la médiation par le Barreau de Paris avec un objectif : sensibiliser, former et décliner la médiation dans toutes les matières.

La médiation ne s’improvise pas. Elle suppose un changement de comportement de tous. A commencer par l’avocat de la partie médié. S’il continue à exercer les missions traditionnelles de représentation et de défense de son client, il doit également inscrire sa mission non plus dans une perspective d’affrontement, mais dans celle d’une collaboration. Il doit également inscrire les modes alternatifs de règlement des litiges dans la gamme des solutions à proposer à son client.

Pour le justiciable, il faut lui apprendre à se réapproprier le litige. Il devient partie prenante dans le cadre d’un processus structuré visant la résolution des conflits. Il devient acteur et force de propositions.

Quant au médiateur, certains vous diront que son rôle est à géométrie variable : médiateur-conciliateur pour certains, médiateur-facilitateur pour d’autres, médiateur-conseiller…  dans tous les cas, il doit être rompu aux techniques de communication humaine : écoute, reformulation, stratégies de réflexion, méthodologie, motivation, recadrage, recentrage, styles d’expression, préférences de perception, affirmation…  En bref, il doit être impartial, neutre et entretenir un climat de confiance. Cela exige de la technique, du savoir, du savoir-faire et du savoir-être.

La médiation est donc une relation triangulaire, en rupture avec un raisonnement fondé sur les griefs, les rapports conflictuels. Il n’est plus question d’affrontement, mais de dialogue. Il ne s’agit plus de savoir qui a tort, qui a raison, mais d’ouvrir la voie à une justice restauratrice du lien social qui n’enlève rien au respect des normes et des lois, fondements des libertés et des démocraties.

Les parties travaillent dans un climat de concertation. Elles œuvrent pour la recherche de l’équité, conscientes qu’il n’existe pas de vérité absolue et que, entre deux vérités, il faut savoir faire des concessions. Toutes ces techniques existent depuis la nuit des temps.

Le « cosi afghan » en Asie, l’ « arbre à palabre » en Afrique, le « pacere corse » en Europe, le « wali », le « Sheik », le « Addal » en Asie… sont autant de processus qui poursuivent le même objectif : régler les conflits afin de préserver la paix et la cohésion sociale. Ces techniques présentent des points communs et des particularités propres, mais toutes procèdent d’une tentative de règlement amiable du différend dont tous les professionnels du droit ne peuvent que se réjouir.

La négociation raisonnée guide les divers processus, mais c’est dans la médiation, qui fait intervenir un tiers neutre, impartial, indépendant et formé à la pratique de la médiation, que les parties sont le plus « aidées » et en situation de renouer le lien, aidées à construire un accord.

Le médiateur n’épouse pas la position d’une partie ou de l’autre, ne conseille pas, n’impose pas, et c’est sa personnalité et la technique qu’il a acquises dans sa formation qui lui permettent d’utiliser les bons outils pour faire avancer le processus. La personnalité du médiateur est déterminante, dans la recherche d’une solution à un conflit.

J’insiste ici sur la nécessaire formation, la pratique, l’écoute, le respect, la confidentialité et l’empathie, qui sont des valeurs essentielles dont le médiateur doit être imprégné.

Pour toutes ces raisons, la médiation ne devrait pas être une alternative au judiciaire mais un choix.

Mais, dans les circonstances exceptionnelles de l’état d’urgence sanitaire que nous connaissons actuellement, avec la suspension de toutes les procédures civiles, commerciales, prud’homales et l’engorgement prévisible et durable des juridictions, avec le confinement obligatoire pour tous, la médiation constitue certainement la seule option pour avancer, pour permettre de dénouer les crises et construire l’avenir.

En effet, à l’heure des outils digitaux, la médiation franchit une nouvelle étape en permettant de mener en visioconférence toutes les séances – plénières comme en aparté – avec toutes les garanties de la confidentialité.

La médiation démontre, une fois de plus, son adaptabilité, sa souplesse et son efficacité. 

Christiane Féral-Schuhl, Présidente du Conseil national des barreaux