L'heure d'un sursaut de l'Etat de droit

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Dans une tribune au « Monde du Droit », un collectif de juristes réclame le respect de l'Etat de droit dans le cadre du mouvement des gilets jaunes et appelle à « la plus grande retenue et au respect de chacun afin de trouver, ensemble, une réponse démocratique à ce mouvement inédit ».

La colère d'une partie de la population s'exprime désormais depuis plusieurs semaines. Prenant tout d'abord la forme de barrages filtrants et de blocages de la circulation, celle-ci s'est, par la suite, accompagnée de violences inacceptables.

Dans ce contexte, il est fondamental de rappeler l'exigence du respect de l'Etat de droit, seul garant d'une société libre où les contestations et désaccords peuvent être entendus et débattus dans un cadre serein et efficace. Seul garant également de l'acquis fragile mais essentiel que sont nos libertés fondamentales.

Ainsi, la sécurité ne s'oppose pas à la justice. Forces de l'ordre et magistrats doivent œuvrer de concert pour que l'ordre public soit respecté et que les fauteurs de troubles soient poursuivis et condamnés dans le respect de nos règles et valeurs essentielles. La justice doit passer et être efficace, tout en s'assurant du respect des droits de la défense et de l'individualisation des peines. Dans ce cadre, le rôle de la Garde des Sceaux est de s'assurer que le service public de la justice puisse exercer efficacement sa mission sans, naturellement, enfreindre la totale indépendance qui est celle des juges. Nous y sommes vigilants. Dans ce contexte dégradé, les forces de l'ordre doivent aussi, dans toute la mesure du possible, respecter un principe de proportionnalité de la riposte face aux attaques dont ils font l'objet.

Le respect de l'ordre public est la condition nécessaire de l'établissement d'un dialogue démocratique dans un Etat de droit, seul de nature à apporter une réponse durable à cette crise et à la revendication d'une partie de la population.

Ce dialogue ne saurait toutefois souffrir des excès d'une minorité qui aurait pour objet de priver nombre de concitoyens de leur liberté de pensée, d'expression et de mouvement. Les pressions exercées sur certains membres du mouvement des Gilets Jaunes comme contre les élus de la République pour leur interdire de s'exprimer librement ne sauraient être tolérées et les journalistes doivent pouvoir exercer leur liberté d'informer.

Le débat démocratique ne peut être l'otage de menaces, d'intimidations et de violences. Il n'est pas admissible que des élus soient menacés dans leur personne et traqués jusque chez eux, que leurs permanences soient vandalisées, les préfectures incendiées, des sépultures profanées. Le président de la République démocratiquement élu ne saurait être ni injurié ni menacé. Les insinuations funestes de certains hommes politiques sur une issue tragique doivent être dénoncées. Il est plus que temps que cessent les appels irresponsables à envahir les institutions, au demeurant très sévèrement condamnés par le Code pénal.

Dans ce contexte, il est tout aussi inadmissible que des avocats soient menacés en raison de leurs opinions politiques. Nous regrettons que d'autres s'opposent à ce que des magistrats, greffiers et forces de l'ordre puissent effectuer leurs missions et interrompent les débats parlementaires en pleine assemblée. La concertation entre professionnels du droit doit se poursuivre dans le calme et le respect du principe du contradictoire sur ces sujets d'intérêt commun qui a déjà permis d'obtenir de nombreuses avancées. Les professionnels du droit rassemblés ont un rôle fondamental à jouer dans la préservation du cadre institutionnel de notre démocratie.

Force doit en effet rester à la loi et au dialogue.

En notre qualité de juristes, nous nous devons d'interpeller sur les périls immenses et irréparables que véhiculent les messages de certains démagogues et appeler à la plus grande retenue et au respect de chacun afin de trouver, ensemble, une réponse démocratique à ce mouvement inédit car, au-delà de divergences d'opinions, ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous divise.

Les signataires :  Romain Dupeyré, avocat au barreau de Paris ; Solën Guézille, avocate au barreau de Paris Jean-Eric Gicquel, professeur de droit public, Université de Rennes 1 ; Myriam Roussille, professeur de droit privé, Université du Mans ; Pierre-Benoît Pabot du Chatelard, avocat au barreau de Paris ; Laure Lavorel, directrice juridique ; Aline Gonzalez, docteur en droit public, chargée d’enseignement à l’université de Montpellier ; Caroline Reverso, avocate au barreau de Nice ; Nicolas Guérin, directeur juridique ; Gilles Huvelin, avocat honoraire au barreau de Paris ; Alexia Boursier, avocate au barreau de Paris ; Bruno Dondero, professeur à l'école de droit de la Sorbonne ; Florence Gsell, professeur de droit, Université de Lorraine ; Pierre-Victor Tournier, Ancien directeur de recherches au CNRS, spécialiste des questions pénales ; Katell Berthou, juriste ; Céline Leroyer, avocate au barreau de Nice ; Valérie Gauthier, avocate au barreau de Paris ; Boris Stoykov, directeur juridique ; Emmanuel Jarry, avocat au barreau de Paris ; Timothé Kieffer, juriste ; Mahel Siffer, juriste, Rennes ; Jérôme Deroulez, avocat au barreau de Paris ; Sophie Kepes, écrivain ; Annick Masselot, professeur de droit, University of Canterbury ; Guillaume Briant, avocat au barreau de Paris ; Marie-Hélène Reignier, avocate au barreau de Carcassonne, Odile Dupeyré, avocate au barreau de Paris ; Victor Riotte, avocat au barreau de Paris ; Rabah Hached, avocat au barreau de Paris ; Mathieu Bui, avocat au barreau de Paris ; Stéphanie Fougou, directrice juridique.