Conseil des prélèvements obligatoires : La fiscalité environnementale au défi de l'urgence climatique

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Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), organisme associé à la Cour des comptes, s'est penché sur la fiscalité environnementale et, plus particulièrement, sur la fiscalité carbone.

Après deux échecs, en 2000 et 2009, la taxation du carbone n'a été mise en place qu'en 2014 et sa trajectoire de hausse a été suspendue à la suite du mouvement de contestation de l'automne 2018. La France, conformément à ses engagements internationaux, en particulier dans le cadre de l'accord de Paris sur le climat, a pourtant adopté des objectifs environnementaux ambitieux qui supposent une nette accélération du rythme de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre.
Le CPO propose donc la reprise d'une trajectoire d'augmentation de la taxe carbone, tant cet outil paraît conditionner l'atteinte des objectifs environnementaux. Celui-ci devrait toutefois être mieux articulé avec les autres instruments de politique environnementale, dans le cadre d'une stratégie d'ensemble. La question de l'acceptabilité de la taxe par les contribuables doit faire l'objet d'une attention renouvelée, via notamment un effort de transparence dans le suivi des recettes.
Enfin, le développement de la fiscalité carbone en France passe aussi par des mesures à porter aux niveaux européen et international.

Une fiscalité centrée sur l'énergie

La fiscalité environnementale est constituée, en France, d'un ensemble de 46 instruments fiscaux, d'un rendement global de 56 Md € en 2018, soit un peu moins de 5 % des prélèvements obligatoires. S'y ajoutent les dépenses fiscales liées à l'environnement (13 Md €), ainsi que d'autres instruments fiscaux en lien avec l'environnement mais non répertoriés comme tels par la comptabilité nationale (18 Md €).
Composée principalement de taxes sur la consommation – dont la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) – la fiscalité énergétique représente 83 % du rendement de la fiscalité environnementale. Avec la création en 2014 de la composante carbone, intégrée aux taxes sur les énergies fossiles, la France se rapproche aujourd'hui de la moyenne européenne en termes de part de la fiscalité environnementale dans le PIB (2,4 % en 2018).

Une fiscalité carbone sous contrainte

Notre pays a joué un rôle moteur dans les négociations climatiques internationales et s'est doté d'objectifs environnementaux ambitieux, encore renforcés dans le projet de loi relatif à l'énergie et au climat qui devrait être adopté à l'automne 2019. Celui-ci comporte un objectif de neutralité carbone en 2050, impliquant une division par six des émissions de gaz à effet de serre.
Or la France a déjà pris du retard sur les objectifs fixés par la loi de 2015 et le rythme actuel de réduction des émissions est près de deux fois trop faible au regard des cibles retenues.
En termes macroéconomiques, la fiscalité carbone n'a qu'un impact très modeste sur le niveau du PIB, mais elle contribue efficacement à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, cette réduction est partiellement compensée par l'augmentation des importations, ce qui a pour effet de limiter la baisse de l'empreinte carbone de la France.
S'agissant des ménages, la taxe carbone pèse proportionnellement plus sur les ménages modestes, ainsi que sur ceux habitant dans des communes rurales ou dans des aires urbaines petites ou moyennes. La part des dépenses d'énergie liées au logement ou au transport dans le budget global des ménages présente par ailleurs une grande stabilité sur longue période, autour de 3 %. Le poids de la fiscalité dans les dépenses énergétiques de transport (61 %) est toutefois beaucoup plus élevé que dans celles relatives au logement (31 %).
Les entreprises sont responsables de 61 % des émissions nationales de gaz à effet de serre mais n'acquittent que 36 % du produit de la fiscalité carbone. Cela s'explique par plusieurs dispositifs d'exonération, parmi lesquels l'exonération de fiscalité énergétique dont bénéficient les plus gros émetteurs, intégrés pour leur part au marché européen des échanges de quotas.
L'utilisation des recettes de la taxe carbone constitue un autre enjeu sensible, puisqu'il s'agit de concilier efficacité et équité.

Les conditions de relance de la fiscalité carbone

La transition vers une économie décarbonée suppose la définition d'une stratégie d'ensemble qui intègre la reprise d'une trajectoire d'augmentation de la fiscalité carbone. Le CPO a testé deux trajectoires à l'horizon 2030, l'une modérée (100 €2030 /tCO2), l'autre plus ambitieuse (317 €2030 /tCO2), permettant d'accentuer la baisse tendancielle des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, sans toutefois pouvoir atteindre l'objectif de -40 % fixé dans la loi. Le choix, qui relève des pouvoirs publics, devra s'apprécier au regard des effets prévisibles sur les ménages et les entreprises, mais aussi en tenant compte des contraintes d'une économie ouverte.
Au-delà du taux, l'assiette de la taxe carbone gagnerait à être élargie, afin de maximiser son impact environnemental et de renforcer le sentiment d'équité par une répartition plus large des efforts. Les secteurs exonérés de taxe carbone ou bénéficiant de taux réduits devraient progressivement être intégrés au régime de droit commun.
Une meilleure articulation entre la fiscalité carbone et les autres outils fiscaux, ainsi que les instruments non fiscaux de politique environnementale (marchés de permis, normes, subventions), devrait être recherchée, notamment en matière de transports.
La relance de la fiscalité carbone ne saurait faire l'impasse sur son acceptabilité par les contribuables. La clarté des objectifs assignés à la taxe, ainsi que la stabilité et la visibilité de la trajectoire d'augmentation sont essentielles. Distinguer la taxe carbone de la TICPE, afin de faire de la première un instrument incitatif différent des visées de rendement de la seconde, pourrait être envisagé. L'acceptabilité de la taxe suppose plus de transparence dans l'utilisation des recettes, sans nécessairement passer par une affectation juridique, et une compensation de ses effets sur les ménages les plus affectés, notamment les ménages modestes, pourrait être envisagée.
Enfin, le cadre européen de taxation de l'énergie devrait être modernisé pour affirmer plus explicitement sa finalité environnementale et mieux l'articuler avec le marché d'échanges de permis. Les mécanismes visant à doter l'Union européenne d'une protection commerciale à l'encontre des territoires non coopératifs devraient être soutenus. Le transport international, aérien et maritime, devrait être assujetti, soit au niveau international, soit au niveau européen, à une taxe visant la consommation énergétique : l'exemption fiscale dont il bénéficie aujourd'hui n'est pas justifiée du point de vue environnemental.
Au total, le CPO formule huit orientations pour répondre à l'urgence climatique et permettre à la France d'atteindre les objectifs ambitieux qu'elle s'assigne.