Réforme du droit de la responsabilité civile : l’AFJE transmet ses observations à la Chancellerie

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redactionL'AFJE a répondu à la consultation publique lancée par le Ministère de la Justice sur l'avant-projet de loi portant réforme du droit de la responsabilité civile et a publié ses observations.

Dans la continuité des démarches de l’AFJE pour la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, un groupe de travail « ad hoc » a été créé au sein de l’AFJE et s’est réuni fin juin et courant juillet afin d'examiner le détail de l'avant-projet de loi portant réforme du droit de la responsabilité civile de 72 articles.

Ce groupe de travail, animé par Maurice Bensadoun, Administrateur de l'AFJE, est composé d’Anastasios Ikonomou (Vallourec), Anne-Laure Gaudillat (Ecoles des Mines), Edouard Simon (doctorant), Nicole Mansell (Arjowiggins), Isabelle Forest-Dangier (BNP-Paribas) et Odile Imberton (Thalès).
Il s'est rapproché du Cercle Montesquieu et des comités juridiques de l'AFEP et du MEDEF, ainsi que cela avait été fait au sujet de la réforme du droit des contrats et des obligations et a soumis  la contribution de l'AFJE à la Chancellerie le 28 juillet 2016.

Au-delà de propositions et remarques précises sur certains articles de l'avant-projet de loi (questions et rédactions), le groupe de travail a mis en exergue huit points majeurs :

OBSERVATIONS DU GROUPE DE TRAVAIL « AD HOC » DE L’AFJE SUR L’AVANT-PROJET DE LOI SUR LA REFORME DU DROIT DE LA RESPONSABILITE CIVILE




1/ Le souci d'assurer une cohérence et une harmonisation des rédactions entre cet avant-projet de loi et le texte de l'Ordonnance du 10 février 2016 sur la réforme du droit des contrats et des obligations.

En effet, s'agissant du droit commun de la responsabilité civile, certains articles de cet avant-projet de loi trouveront "naturellement" leur place au sein des articles de l'Ordonnance qui leur sont réservés.

Pour reprendre les propos du Ministre de la Justice dans son intervention du 29 avril 2016, "il est temps que le droit de la responsabilité civile, qui s'est développé hors du Code civil, rentre dans son foyer naturel" (Cf. Gazette du Palais n° 17 du 10 mai 2016).

Un calendrier différent et, sans doute, des rédacteurs différents, sont à l'origine de notre constat. Rappelons à ce sujet que si la réforme du droit des contrats deviendra le droit positif le 1 octobre 2016 (Cf. le projet de loi de ratification de l'Ordonnance déposé par le Gouvernement le 6 juillet 2016), l'objectif du Gouvernement pour la réforme du droit de la responsabilité civile est ici fort différent. Tout d'abord, ce texte sera soumis au Parlement, l'objectif étant de présenter un projet de loi en conseil des ministres au cours du premier trimestre 2017. Cela signifie donc clairement que ce texte ne pourra pas être adopté avant la fin de la présente législature.

2/ Dispositions propres à la responsabilité contractuelle (articles 1250 à 1252)

Si nous saluons la distinction opérée entre responsabilité contractuelle et responsabilité extracontractuelle, il eût sans doute été préférable d'effectuer un "simple" renvoi aux articles 1231-3 et 1231-6 de l'Ordonnance du 10 février 2016 plutôt que d'assurer des rédactions différentes.
Sur le même sujet, nous saluons également la confirmation du principe de non-cumul des deux régimes de responsabilité et de la jurisprudence qui en est découlée.

3/ Validité des clauses contractuelles d'exclusion et de limitation de responsabilité (article 1281)

A titre "prémonitoire" ou "conservatoire", c'est un point que nous avions déjà souligné dans notre contribution du 28 avril 2015 sur le projet de réforme du droit des contrats et des obligations. On devine sans peine que la validité de ces clauses (exclusion ou limitation de responsabilité, exclusion des dommages indirects ou immatériels, caractère forfaitaire ou libératoire des pénalités, régime légal du vice caché dans la vente) est d'une importance fondamentale pour les entreprises industrielles ("Business-to-Business" ou " B-to-B").
C'est un point qui nous paraît de nature à améliorer l'attractivité du droit français dans les rapports internationaux.
Nous notons, enfin, avec intérêt que l'avant-projet de loi reconnaît la validité de la limitation ou de l'exclusion de responsabilité dans le domaine extracontractuel (hors dommage corporel, bien sûr).

4/ Codification des régimes spéciaux de responsabilité

Nous saluons, tout d'abord, que le principe du droit commun de la responsabilité demeure fondé sur la faute. Nous sommes là dans la tradition civiliste et dans la continuité du Code civil depuis 1804. Ainsi que l'a mentionné le Garde des Sceaux dans son intervention du 29 avril 2016, il s'agissait de "rassembler deux siècles d'évolution jurisprudentielle en un nombre réduit d'articles, clairs, simples et ouverts, pour saisir le passé sans entraver l'avenir, tout en innovant au présent" (Cf. Gazette du Palais n° 17 du 10 mai 2016).
Ceci n'empêche pas la reconnaissance et l'incorporation de régimes spéciaux et de lois spéciales. Notamment, les responsabilités "sans faute" ou fondées sur le risque, encore appelées "responsabilités objectives" (ou "strict liability"). Un exemple ? Le droit de la responsabilité civile nucléaire.
La loi spéciale l'emportant sur la loi générale, ces régimes spéciaux n'ont pas à "entraver" le droit commun de la responsabilité civile.

5/ Le dommage environnemental (Sous-section 3, entre les articles 1279 et 1280)

La réparation du préjudice écologique, puisque c'est de cela dont il s'agit, est un sujet sensible pour les entreprises industrielles. En outre, l'assurance dans ce domaine a déjà un coût élevé et le marché n'est pas extensible à l'infini.
Nous ne l'avons pas mentionné auparavant, mais il est évident qu'il existe un lien étroit entre responsabilité civile et assurance, et ce de façon générale.
Nous avons ainsi compris que cette Sous-section 3 a vocation à intégrer les dispositions du projet de loi voté par le Parlement le 20 juillet 2016 " pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages", lequel texte introduit de nouvelles règles sur la réparation du préjudice écologique. Ce texte a fait l'objet d'une saisine du Conseil constitutionnel les 21 et 22 juillet 2016.

Nous avons sur ce texte plusieurs interrogations importantes que nous développons dans notre contribution (responsabilité pour faute ? Ou sans faute ? Rédaction de l'article 1247 ? Application "rétroactive" à des faits antérieurs à l'entrée en vigueur de ce texte ? etc.).

6/ Tous les articles de cet avant-projet de loi sont-ils d'ordre public ?

Notre sentiment premier, s'agissant de responsabilité, serait "naturellement" de répondre par l'affirmative. Si tel était le cas, il faudrait répondre "expressis verbis" en utilisant partout le terme "d'ordre public". Un seul terme !
L'analyse fine montre que ce n'est pas aussi simple et il y aurait, sans doute, quelques articles qui pourraient souffrir la clause contraire.

7/ L'amende civile (article 1266)

Nous sommes clairement défavorables à l'introduction en droit français des "punitive damages" que connaît le droit américain. Il s'agit là de véritables "peines privées". Nous comprenons le souci de chercher à éviter les "fautes lucratives", mais, un tel concept est choquant pour ce qui est des entreprises industrielles. Qui plus est, les montants proposés sont exorbitants pour des personnes physiques (2 millions d'euros, voire le décuple) ou existent déjà dans des droits spéciaux pour les personnes morales (Cf. droit de la concurrence : 10% du CA mondial H.T.).
A nouveau, nous sommes là dans le droit commun de la responsabilité civile. Pourquoi y incorporer un "corps étranger" ?

8/ Un régime spécial de force majeure (article 1253) dans le domaine de la responsabilité extracontractuelle ?

Le caractère "pédagogique" de la distinction est à saluer (article 1218 de l'Ordonnance du 10 février 2016. Mais, cette "dualité" ne crée-t-elle pas de l'ambiguïté ? L'article 1218 est supplétif, clairement. Ceci ne devrait pas être le cas de l'article 1253 de l'avant-projet de loi.
L'article 1218 ne reteint plus l'élément d'extranéité parmi ses éléments constitutifs, ce qui n'est pas le cas de l'article 1253 de l'avant-projet de loi.

Outre ces huit points cités ci-dessus, l'examen de cet avant-projet de loi pose d'autres questions selon l'AFJE notamment dans le monde de l'assurance.
Elle souhaite une définition claire du "dommage" et de sa distinction avec le "préjudice",  une clarification entre "faute lourde", "faute intentionnelle", "négligence grave" et faute inexcusable", "ce dernier terme nous paraissant le "standard" d'interprétation le plus élevée.


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