Interview de Valence Borgia et Florent Loyseau de Grandmaison (UJA), candidats au Conseil de l’Ordre de Paris

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En partenariat avec Le Monde du Droit, le Club AvoTech, premier « do tank » des avocats créateurs de legal tech en France, a décidé d’interpeller les candidats au Conseil de l’Ordre de Paris, sur leur vision de l’avocat de demain. Aujourd’hui, Valence Borgia et Florent Loyseau de Grandmaison (UJA) répondent aux questions de Mathieu Davy et Barthélémy Lemiale, Avocats et membres fondateurs d’AvoTech.

Vous mettez en avant l’Avocat entrepreneur, le jeune Avocat qui développe sa clientèle. Quel est pour vous l’Avocat de demain ?

FLG : Nous avons une vision assez simple de l’exercice du métier. Remettre l’Avocat partout où il y a du Droit. On va vers une complexification massive des procédures, et une difficulté de traitement de l’information juridique par le profane. Or, les justiciables passent beaucoup de temps sur internet, sans analyser les droits qui leur sont offerts, notamment sur le plan procédural. Ce que l’on prône à l’UJA, c’est que l’ensemble du développement de ce que l’on peut appeler les legaltech ou les big data en matière juridique, soit traité par le filtre des Avocats. Parce qu’aujourd’hui on est en concurrence avec de très nombreuses plateformes qui ne sont absolument pas dirigées par des Avocats, et parfois même pas par des juristes, qui sont en réalité des catastrophes industrielles parce que ça fournit des services qui ont l’odeur du Droit, qui ont la saveur du Droit, mais qui finalement sont plus une difficulté pour les clients qu’autre chose et qui ne leur offrent en réalité que des difficultés procédurales.

VB : Quand on pense qu’il y a seulement trois ans, on ne parlait pas de legaltech mais de braconniers du Droit… A l’UJA on regarde l’Avocat du futur comme un Avocat connecté. Toutes ces possibilités qui arrivent maintenant grâce aux nouvelles technologies rebattent les cartes. En particulier, elles sont un vecteur, pour des jeunes avocats qui n’auraient pas de réseau familial ou professionnel très important de bâtir une clientèle par de nouveaux biais. L’Avocat de demain aura des opportunités que n’avait pas le jeune Avocat d’hier.

La plupart des justiciables vont désormais sur internet pour trouver un avocat, quel message vous en tirez pour les jeunes Confrères ?

VB : Plus des trois quarts de la formation sur le développement de clientèle des collaborateurs que nous dispensons à l’UJA sont consacrés à internet et aux nouvelles technologies. C’est quelque chose qu’on a complètement intégré. Je suis même presque surprise que ça fasse débat encore, qu’on ait l’air de le découvrir. 

FLG : On revient enfin à des Avocats qui sont créateurs de valeurs et non pas que créateurs de compétences. On est très attachés à l’UJA à l’identité numérique, c'est-à-dire que pour exister sur internet il faut déjà le décider. Ce que les gens mettent en avant, à la fois sur leur site de Cabinet, mais également dans les articles qu’ils postent soit sur Facebook, soit sur LindekIn, c’est une compétence très particulière dans un domaine. On a un phénomène de spécialisation par l’information que l’on donne sur internet et qui donne à la fois une cohérence, une compétence, une valeur et qui créé une identité. La pertinence sur les réseaux résulte de ta spécification et ta démarcation, de ta possibilité de sortir du nombre de résultats communs. Et précisément, c’est ça aujourd’hui l’enjeu pour les Avocats, et en particulier les jeunes Avocats

Etes-vous favorable à ce que les confrères reprennent le marché du numérique en main, et créent des legaltech ?

VB : Ca me paraît une évidence que les Avocats doivent être à la fois moteurs et leaders dans l’univers des Legaltech. Dire le contraire ça me paraîtrait une aberration, surtout qu’on peut même discuter du caractère annexe d’une telle activité lorsqu’elle est conduite par des avocats.

FLG : Je trouverais ça suicidaire qu’en tant qu’Avocat on se refuse ce marché qui est le seul marché véritablement identifié comme étant un marché de croissance et à potentiel de développement illimité. A partir du moment où on rentre dans les principes essentiels, ça ne me dérange absolument pas que ce soit un Confrère qui initie des procédures, après que ce soit des actions de groupe ou des procédures qu’on appelle collectives, où il va générer énormément de papiers pour plein de gens et qu’il passe par une Legaltech pour ça. Après la vraie question, à mon sens, c’est plus de l’adaptation de l’outil numérique à la connaissance et la conscience du justiciable pour qu’il sache exactement ce qu’il trouve derrière.

Sur cette notion de déontologie, est-ce que vous pourriez porter l’idée à l’Ordre d’une labellisation étique des legaltech ?

FLG : Ça me semble plus que nécessaire pour savoir un peu qui agit selon les règles déontologiques et qui n’agit pas selon les règles déontologiques. Mais à mon avis, l’interlocuteur prioritaire sur ces questions-là, si ça peut être les Ordres en point d’entrée, sera finalement le CNB. Parce que dès lors que tu es labellisé, tu es labellisé sur tout le territoire français.

VB : Je trouve que c’est presque un peu contradictoire pour des acteurs qui se prétendent innovants et disruptifs de venir chercher un label de l’Ordre. Je n’ai jamais vu en fait que les labels fonctionnent vraiment. C’est un peu comme la Chartre des bonnes pratiques de la collaboration qui est dans une toute autre matière. Plein de Cabinets l’ont signée. Est-ce que pour autant ils respectent les règles de la collaboration davantage que les autres ? A titre personnel, je trouve les labels peuvent être un peu gadget. D’autant que ceux qui attribueraient ces labels pourraient être pro Legaltech un jour puis remplacés par des gens plus conservateurs ensuite.

Pour aider les confrères à se lancer, pourriez-vous porter l’idée d’un crédit d’heures de formation, voire de crédit de cotisations ordinales sur le modèle du crédit d’impôt, investi dans la legal tech ?

VB : Je ne vais pas faire de la démagogie électorale : le crédit d’impôt sur les cotisations ordinales ça ne me paraît pas la meilleure option parce que la situation financière de l’Ordre est tendue, ces cotisations-là elles sont vitales sur d’autres sujets, concernent la prévoyance, les actions de solidarité etc. Donc ça je ne vois pas comment on pourrait imaginer de réduire là-dessus les cotisations ordinales.

FLG : Sur les heures de formation, je ne vois pas la difficulté, c’est exactement ce qui peut se produire aujourd’hui dans d’autres domaines, en formation interne, qui est validée au titre de la formation continue.

Le Barreau est féminin mais peu de Consœurs créent des legaltech, j’imagine que ça vous interpelle ?

VB : Quand j’ai vu la création d’Avotech, j’ai regardé tout de suite la liste et j’étais heureuse de constater qu’il y avait des femmes parmi vos membres, mêmes si elles demeurent minoritaires. Comment stimuler l’entrepreneuriat chez les femmes ? Je pense que si votre association est sensible à cette problématique, vous aurez à cœur d’encourager et de rassembler des consoeurs porteuses de projets. Lorsque la volonté existe en interne, une partie importante du chemin est faite.

FLG : Je pense que la répartition genrée que tu observes c’est aussi parce que dans les geeks il y a une surreprésentation des hommes. Mais je trouve que ça peut être une superbe porte d’opportunités pour ces Consœurs de ne plus quitter la profession et de développer des projets hyper-innovants.

Si vous veniez de prêter serment cette année, quels seraient vos réflexes pour vous lancer dans la profession, pour développer votre réseau, votre clientèle ?

FLG : J’investirais massivement tous les réseaux sociaux avec des articles de fond sur une compétence que j’aurais réussi à développer. C’est Village de la Justice, c’est LinkedIn, c’est Facebook, c’est recherche Google, c’est tous les supports. J’ai le sentiment que pour arriver à se faire connaître aujourd’hui, non seulement il faut exister mais il faut construire une identité qui soit hyper-cohérente. 

VB : Je me serais beaucoup plus reliée aux autres, de manière générale, que ce soit à travers les réseaux sociaux mais aussi dans « la vraie vie ». J’aurais participé beaucoup plus à beaucoup plus d’évenements au sein et en dehors du barreau. J’aurais été moins enfermée dans mon Cabinet à rédiger des conclusions en fait.

Avez-vous une conclusion, sur ce thème de l’Avocat de demain ?

VB : On peut être extrêmement optimiste. Il me semble qu’il y a mille façons aujourd’hui d’exercer la profession et énormément d’opportunités partout. Je pense qu’il faut vraiment que la profession de manière générale soit dans cette dynamique-là, une dynamique de projet entrepreneurial pour les jeunes entrants.

FLG : Je trouve que les jeunes Avocats possèdent tous les codes de la nouvelle grammaire actuelle qui sont les développements à la fois des compétences et des connaissances par les réseaux, quels qu’ils soient, mais par les réseaux dématérialisés, et que précisément ça donne à la fois une possibilité pour le jeune Confrère d’être à égalité numérique avec de très grandes structures, donc ça donne aussi une potentialité, une puissance aux jeunes Confrères qui est assez inédite jusque-là d’une part.

Interview réalisée par Mathieu Davy et Barthélémy Lemiale, Avocats et membres fondateurs d’AvoTech


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