L'appel voie de réformation ou la fin du droit à l'erreur

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romain laffly

On sait que l'appel tend à la réformation ou à l'annulation de la décision rendue par la juridiction du premier degré. Mais comme l'article 542 du Code de procédure civile ne le dit pas, c'est bien l'appel voie d'achèvement, qui permet donc d'achever le procès devant la Cour, et non l'appel voie de réformation, qui est consacré par notre Code de procédure civile. La liberté des plaideurs est presque totale puisqu'ils disposent, en appel, de la possibilité de présenter des moyens nouveaux et des pièces nouvelles, le principe d'interdiction des demandes nouvelles étant atténué par les, articles 565 et 566 du Code de procédure civile.

À l'instar du principe de double degré de juridiction qui n'a pas valeur constitutionnelle, la conception de l'appel voie d'achèvement est loin d'être un droit acquis comme en témoignent aujourd'hui les discussions qui agitent la communauté des juristes. Celle-ci semble se diviser en deux : d'un côté les garants de la gestion des flux, de l'autre les protecteurs d'un large accès au Juge pour le justiciable. On ne sera donc pas étonné de voir actuellement le Premier président de la Cour de cassation et la Présidente de la Conférence des premiers présidents des Cours d'appel afficher leur préférence pour l'appel voie de réformation et les avocats, plus timidement il est vrai mais généralement soutenus par les professeurs de droit, plaider pour la voie d'achèvement. Car l'enjeu est majeur et ce sont bien deux conceptions de la Justice qui s'opposent.

Déjà, le, rapport, remis au garde des Sceaux par la commission Magendie évoquait un effet pervers de l'appel voie d'achèvement qui « a été de dissoudre la fonction de la première instance, souvent considérée comme un galop d'essai et de transformer l'instance d'appel en une seconde première instance, cette tendance étant favorisée par l'effet suspensif de l'appel et n'ayant pas été sans effet également pervers sur la pratique des pourvois en cassation et, subséquemment, sur la conception du rôle de la Cour de cassation » (Mission Magendie Il — célérité et qualité de la justice devant la Cour d'appel — rapport au garde des Sceaux — 24 mai 2008). Alors que les décrets Magendie n'ont pas remis en question l'appel voie d'achèvement mais ont encadré strictement les obligations procédurales des plaideurs, il n'est donc pas étonnant que le débat ressurgisse précisément aujourd'hui à l'occasion des questionnements sur le rôle de la Cour de cassation. Lors de son allocution d'ouverture aux débats sur la réforme de la Haute juridiction, le Premier président de la Cour de cassation rappelait l'effet d'accélération sur le traitement des dossiers et celui restrictif sur le nombre de pourvois que pourrait avoir un appel voie de réformation (Conférence du 24 novembre 2015, regards d'universitaires sur la réforme de la cour de cassation, Allocution de Monsieur le premier président Bertrand Louvel : JCP G 11 janv. 2016). Quelques jours plus tard, il ajoutait que la disparition des avoués aurait dû militer en faveur de l'appel voie de réformation et que la justification d'un appel voie d'achèvement « a disparu dès lors qu'un professionnel unique conduit le procès devant les deux degrés de juridiction et qu'on peut donc attendre de lui, de sa science et de sa responsabilité, qu'il en ait une vision complète et continue dès son commencement » et concluait « pourtant cette évolution ne serait-elle pas un puissant aliment du changement culturel nécessaire tout à la fois, à la promotion des modes alternatifs de règlement, à la décélération de la demande en justice, à la réduction du délai de traitement des affaires— puisqu'on ferait l'économie de la mise en état devant le juge d'appel —, et en fin de compte, à la transformation de la physionomie du pourvoi en cassation à laquelle on réfléchit beaucoup à la Cour en cette période ? » (Discours prononcé lors des « 6e rencontres de procédure civile » du 4 décembre 2015, organisées par la 2e chambre civile de la Cour de cassation — perspectives de la procédure civile : vers un principe général de concentration ?). Mais la situation décrite n'est-elle pas tout autre puisque l'on relève souvent en pratique un changement d'avocat entre la première instance et l'appel, ou l'intervention d'un avocat spécialisé en procédure d'appel, rendue nécessaire justement du fait de la complexité de la procédure, au côté de l'avocat de première instance ? Cet autre regard, ou ce double regard, sur les moyens de procédure ou les pièces à produire n'est-il pas source de sécurité pour le justiciable ? En outre, les litiges ne sont-ils pas par nature évolutifs (aggravation des préjudices commerciaux ou corporels, évolution de la situation familiale ou financière...), impliquant l'impossibilité d'envisager l'étendue du procès dès l'introduction de l'instance et la nécessité d'apporter des éléments complémentaires en appel ? De surcroît, le choix qui a été fait en 2011 d'une « voie d'achèvement maîtrisée », appelée de ses vœux par la commission Magendie elle-même et qui encadre aujourd'hui le procès d'appel, n'est-il pas aussi la garantie d'un droit à l'erreur ? Sans évoquer celle du justiciable sur le choix de son avocat, c'est l'erreur de l'avocat, révélée généralement avec la décision. C'est celle aussi du juge, qui n'est pas nécessairement professionnel ou qui est confronté à des dossiers complexes et sans la garantie (pour le justiciable comme pour lui) d'une collégialité. Couplée à un appel voie de réformation, c'est encore la jurisprudence de la Cour de cassation sur l'autorité de la chose jugée et le principe de concentration des moyens dégagé par l'arrêt Cesareo (Cass. ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672: JurisData n° 2006-034519) qui sonnerait le glas de tout droit à l'erreur et pourrait même poser, selon certains professeurs de droit, un vrai sujet quant au contrôle de proportionnalité exercé par la Cour européenne.

Romain LAFFLY, Spécialiste en procédure d'appel, avocat au barreau de Lyon, avocat associé - Lexavoué Lyon