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Emmanuelle Faivre, Avocat Counsel chez Reed SmithCondamnation d’un elu pour des propos publiés sur son mur facebook par des tiers (cass. crim. 17 mars 2015). Commentaire d'Emmanuelle Faivre, avocate au cabinet Reed Smith.

 

En condamnant un élu frontiste en raison de propos publiés sur son mur Facebook par des tiers, la Cour de cassation confirme qu’une obligation de vigilance pèse sur chaque internaute titulaire d’un espace de parole ouvert au public.

Chaque titulaire d’un tel espace pourrait en effet être considéré comme directeur de la publication susceptible, en tant que tel, de devoir répondre avec leurs auteurs des propos délictueux pouvant y figurer.

La prudence est donc de mise !

Telles sont les conclusions à tirer de l’arrêt du 17 mars 2015 de la Chambre criminelle de la Cour de cassation après le rejet d’un pourvoi déposé par un élu frontiste de la région Languedoc-Roussillon à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de Nîmes l’ayant condamné au paiement d’une amende de 3 000 euros en qualité de directeur de la publication et de producteur d’un site de communication au public en ligne pour provocation à la haine ou à la violence raciale ou religieuse.

Les faits de l’espèce sont simples et les conséquences des décisions judiciaires devraient amener les internautes à la prudence.

En octobre 2011, deux internautes laissaient des propos, considérés comme étant de nature xénophobe par la Cour de cassation, sur le mur Facebook, en libre accès public, de l’élu. Ces propos s’en prenaient tout particulièrement à l’un des adjoints au maire de la ville de Nîmes, également député européen, lui reprochant notamment, d’avoir « contribué à abandonner la ville de Nîmes aux mains des musulmans et donc à l’insécurité » et en taclant la compagne de celui-ci, Leila. X., en raison de son appartenance supposée, par son prénom, à la communauté musulmane.

Leila X. portait plainte contre ces écrits et le Tribunal correctionnel condamnait les trois prévenus, le directeur de la publication et les deux auteurs des propos, pour provocation à la haine ou à la violence raciale ou religieuse, délit réprimé par l’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse1. Le 18 octobre 2013, la Cour d’appel de Nîmes confirmait le jugement.

Pour condamner le titulaire du mur Facebook, la Cour d’appel prenait soin de relever la connaissance par celui-ci des messages pouvant y figurer en notant qu’il déclarait au cours de l’enquête le consulter quotidiennement. Selon la Cour, il ne pouvait donc pas légitimement ignorer son contenu. La Cour d’appel faisait également remarquer que sa qualité de personnage public lui imposait une vigilance accrue. Enfin, elle notait que les paramètres de confidentialité sélectionnés rendant le mur "public" achevaient d’apporter la preuve de la démarche volontaire de l’élu pour publier (ou laisser publier) sur sa page de tels propos dont il devait par conséquent répondre.

Ainsi, au-delà des faits de l’espèce, la prudence des titulaires de "murs" ouverts au public doit être de mise sous peine d’être considérés comme directeurs de la publication au sens de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, c’est-à-dire auteurs principaux d’une infraction pouvant y être commise, les auteurs des écrits n’étant poursuivis qu’à titre de complices.

Au vu de la motivation de la Cour, ce devoir de précaution semble être renforcé à l’encontre de toute personne publique ou de toute personne n’agissant pas en simple particulier.

La Cour de cassation, quant à elle, rejette également toute tentative de justification de l’élu qui serait fondée sur la liberté d’expression en rappelant que l’article 10 de la CEDH2, selon lequel "Toute personne a droit à la liberté d’expression", comprend également, en son paragraphe 2, des restrictions nécessaires notamment, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui s’opposant à ce que soit invoquée la méconnaissance du principe de la liberté d’expression en toute circonstance.

L’élu frontiste a déclaré vouloir porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg pour contester sa condamnation. L’application et l’interprétation de l’article 10 vont par conséquent s’avérer cruciales.

 

 

Emmanuelle Faivre, Avocat Counsel chez Reed Smith

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NOTES

1- Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
2- Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales