La lutte contre les particules polluantes à la lumière de la dernière jurisprudence du Conseil d'Etat

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stephane illouzStéphane Illouz, Avocat associé, Reed Smith revient sur la lutte contre les particules polluantes à la lumière de la dernière jurisprudence du Conseil d'Etat.

La Directive n° 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe, impose à la France de surveiller la qualité de l’air ambiant et fixe des valeurs limites de concentration de polluants à ne pas dépasser, en particulier pour le dioxyde d’azote et les particules fines PM 10.

L’obligation gouvernementale d’atteindre les valeurs limites des polluants

Dans un arrêt rendu le 19 novembre 2014, la Cour de Justice de l’Union Européenne a retenu que l’atteinte des valeurs limites des polluants constitue, pour les Etats membres, une obligation de résultat1 .

Le 12 juillet 2017, le Conseil d’Etat a rappelé cette obligation de résultat2 et a enjoint au Gouvernement de prendre dans le délai le plus court possible et, pour chacune des zones administratives où les valeurs limites des particules polluantes ont été dépassées, toutes les mesures indispensables à la réduction des concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM 10, sous les valeurs limites3. Pour ce faire, le Gouvernement devra adopter de nouveaux plans de protection de l’atmosphère, pour les zones dans lesquelles les valeurs limites ont été dépassées.

Les mesures de lutte contre la pollution atmosphérique

Pour atteindre l’objectif ordonné par le Conseil d’Etat, le Gouvernement devra exécuter vigoureusement la réglementation, en poursuivant une politique de plus grande fermeté.

On peut relever trois leviers d’action à la suite de la décision du Conseil d’Etat :

• adoption de nouvelles réglementations performantes ;

• adoption de mesures incitatives ;

• fermeté dans l’exécution des règles nouvelles et des règles existantes.

Ainsi, parmi les mesures répressives et incitatives que les pouvoirs publics pourraient prendre, il pourrait être envisagé :

• une interdiction de brûler des déchets à l’air libre, sous peine de lourdes sanctions financières ;

• un contrôle dans le cadre de la réglementation ICPE du bon fonctionnement des installations de filtration afin de réduire significativement les opérations de maintenance émettrices de particules, d’oxydes d’azote et de composés organiques volatiles4 ;

• une incitation des citoyens à installer une toiture végétalisée (en vue de la purification de l’air et de la baisse de température liée à l’ombre créée par la végétation) en contrepartie de réductions fiscales, par exemple sur la taxe d’habitation, la taxe foncière ou sur l’impôt sur le revenu ;

• une incitation des citoyens à recourir davantage à l’auto-partage : des voies de circulation pourraient être réservées aux véhicules à occupation multiples ;

• l’adoption de plans sur des zones spécifiquement ciblées, dans lesquelles les problématiques de la pollution de l’air sont aiguës.

Conclusion

Dans son arrêt du 12 juillet 2017, le Conseil d’Etat révèle à quel point l’insuffisance des mesures prises par le Gouvernement dénote une réelle difficulté d’exécution des règles environnementales.

Cette difficulté tient pour beaucoup au manque d’information. Le Gouvernement et les élus locaux doivent informer les acteurs économiques privés et les particuliers sur les seuils à respecter et leur offrir les outils nécessaires au mesurage précis du taux de concentration des particules dans l’air.

Sur le terrain des sanctions, la décision du Conseil d’Etat présente un paradoxe. En effet, alors que la pollution provient essentiellement de l’activité des acteurs économiques, le poids de la sanction de la violation des règles environnementales pèse ici sur l’Etat. Seulement, la communication aux acteurs économiques privés est essentielle, afin de permettre l’acceptabilité politique des mesures répressives et l’application des sanctions y attachées.

Un autre paradoxe réside dans le fait que les sanctions perdurent alors que le taux de concentration des particules fines tend à diminuer. En effet, en France, entre 2000 et 2015, les émissions de dioxyde d'azote ont baissé de près de moitié à raison des progrès enregistrés dans tous les secteurs (sauf dans le tertiaire et le résidentiel)5. Durant cette même période, les émissions de PM 10 ont diminué de 39% et celles de PM 2,5 ont baissé de 46%6. D’ici 2050, leur taux de concentration devrait encore baisser de 15 à 20%7.

Du côté du Gouvernement, le 6 juillet 2017, un Plan Climat8 sur la mobilité a été annoncé. Le Gouvernement prévoit notamment de mettre progressivement fin à la vente des voitures émettant des gaz à effet de serre d’ici 2040. Les ministres chargés de l’environnement et de la santé vont également mettre en place des « feuilles de route opérationnelles » pour traiter toutes les sources de pollutions en adaptant les mesures aux spécificités des territoires concernés, avec pour objectif le non-dépassement des seuils d’ici cinq à dix ans.

L’arrêt du Conseil d’Etat témoigne de la nécessité de toujours progresser dans la lutte contre la pollution, même si le contexte environnemental est en nette amélioration. Cette décision incite aussi à se tourner vers des axes de réglementations non existantes, en particulier les particules PM 2,5 à raison de leur extrême nocivité pour la santé. Etant donné leur petite taille, l’exposition chronique à ces particules augmente le risque de contracter des maladies cardio-vasculaires et respiratoires, ainsi que des cancers pulmonaires.

En définitive, cette décision a le mérite de souligner que la lutte contre la pollution atmosphérique doit continuer à s’intensifier, même s’il est indéniable que les niveaux de pollution ont tendance à diminuer depuis plusieurs années. 

Stéphane Illouz, Avocat associé, Reed Smith

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NOTES

1. CJUE, 19 novembre 2014, ClientEarth C-404/13 : http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=159801&doclang=FR

2. CE, 12 juillet 2017, Association Les Amis de la Terre France, n° 394254: http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Selection-des-decisions-faisant-l-objet-d-une-communication-particuliere/CE-12-juillet-2017-Association-Les-Amis-de-la-Terre-France

3. Valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du Code de l’environnement : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006074220&idArticle=LEGIARTI000006835542&dateTexte=&categorieLien=cid

4. http://m.macommune.info/article/pollution-aux-particules-fines-que-faut-il-faire-et-ne-pas-faire-156477

5. http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/publications/p/2587/1097/bilan-qualite-lair-france-2015.html ; http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lessentiel/ar/227/1101/pollution-lair-oxydes-dazote.html

6. http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/publications/p/2668/1152/particules-atmospheriques-connaissance-progresse.html

7. http://www.meteofrance.fr/actualites/43586302-pollution-de-l-air-et-changement- climatique

8. http://www.gouvernement.fr/action/plan-climat


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