Bâtonnat Paris 2016 : Isabelle Dor

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Isabelle DorLe Monde du Droit a interrogé Isabelle Dor, candidate au bâtonnat du barreau de Paris.

Pourquoi vous présentez-vous ?

Parce qu’après des expériences variées dans la profession et en dehors d’elle, le temps est venu pour moi de m’y intéresser.

Pourquoi vous présentez-vous seul sans vice-bâtonnier ?

Le décret de 2009 créant le vice-Bâtonnier prévoit que le Bâtonnier est "secondé" par le vice-Bâtonnier et qu’il "pourra lui déléguer une partie de ses pouvoirs". "Pourra", simple option, comme vous le remarquez. Option connue de quelle manière, modifiée de quelle manière, et à quel rythme ? Je me mets à a la place des confrères, il est logique de préférer un représentant  unique, plutôt que deux (ou trois ? ou quatre ? ou même cinq, comme sous le Directoire ) interlocuteurs, dont on cerne mal les attributions, le pouvoir et les responsabilités.

Quels sont les principaux axes de votre programme ?

En tout premier lieu, la discipline financière. J’ai sollicité les rapports et leurs annexes établis par les  commissaires aux comptes de l’Ordre et de la CARPA, en tant que porte-parole des nombreux avocats qui estiment cette demande légitime mais n’ai encore obtenu aucune réponse (18 juin).

Pourquoi  est-ce si important ?

Il y a là plus que la simple satisfaction, partagée par tous les habitants, d’une maison en ordre.    

Ce qui fait la spécificité de notre profession, savoir le secret professionnel et l’indépendance, ne pourront être maintenus qu’au prix de l’exemplarité.  Et ce qui fait sa richesse, à Paris, savoir la libre disposition des intérêts des sommes en dépôt à la CARPA (sur 12 milliards € de flux tout de même), pourrait disparaître.

Peu de confrères ont pris la peine de s’informer sur le régime de leur CARPA, qui est une association loi de 1901. Comme telle, elle bénéficie d’une exemption du versement à la Caisse des Dépôts des produits financiers (régime des sommes collectées par les notaires), à la condition d’une affectation de ces fonds à des "services d’intérêt collectif" (décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, article 235-1). 

A manquer à la transparence et  si d’aventure il était considéré que pour partie nos dépenses sortaient de l’objet social désintéressé,  nous pourrions donc  tuer la poule aux œufs d’or.

Je soutiens l’idée qu’il faut reprendre en main, avec le CNB, la question de l’accès à la profession, parce que nous sommes trop nombreux et, surtout, que le  niveau général des plus jeunes (bien sûr, de nombreuses et brillantes exceptions) laisse à désirer.

Prévoir que cet accès désormais restreint sera apprécié à l’aune de l’expression écrite et orale. Concrètement, des fautes de syntaxe, des fautes d’accord grossières feront obstacle à  une admission.

La scolarité à  l’EFB sera réduite de 18 à 12 mois. Les étudiants seront soumis à un contrôle continu sur les matières essentielles à la formation : technique de cassation pour structurer le raisonnement juridique ; le chiffre (préparation aux réalités des entreprises clientes et de sa propre entreprise) ; procédure et arbitrage ; et, moins exigeante en heures, la déontologie. 

Mes propositions ont suscité des réactions. J’invite les lecteurs à consulter mon blog "batonnat-dor.paris". Un échange de lettres avec le directeur de l’EFB informe que  la réforme serait lancée. En  tout cas, le numerus clausus semble abandonné, tant mieux, il aurait été funeste de confondre la limitation de la quantité avec l’augmentation de la qualité.

Sur le vote électronique, j’avais indiqué dans ma profession de foi  que le retour au vote manuel était souhaitable. Cet apparent retour au passé est inspiré d’un précédent dont la valeur démocratique est reconnue : les Pays-Bas, qui avaient instauré le vote électoral par voie électronique, sont revenus en 2008 au vote manuel.  

Toutefois, je  reviens partiellement sur cette déclaration, après avoir eu l’occasion, dans le cadre de la campagne,  d’en débattre avec les services concernés, étant accompagnée de l’informaticien qui travaille couramment pour mon cabinet. La prestation informatique elle-même offre les garanties nécessaires. En revanche, pour prévenir toute fraude ou complaisance dans la phase qui précède et celle qui suit la prestation informatique, il  est impératif de changer les prestataires, c’est à  dire l’expert informatique, les huissiers et  l’imprimeur, à chaque élection. Il est de bonne politique de  renouveler par la voie d’un appel d’offres le prestataire informatique, qui est en place depuis l’instauration du système.  C’est ce que je ferai si je suis élue.

En parallèle, je préconise aussi,  de prévoir la possibilité concurrente du retour au vote manuel, ce qui réjouira  nos confrères honoraires (près de 2.000 ) et tous ceux qui, ce jour-là, seront au Palais.   

Que pensez-vous du statut d'avocat en entreprise ?

Ce dossier brûlant, provisoirement remisé, se présente de façon contrastée.

Sont concernées deux catégories de personnes correspondant à des enjeux fort différents : chez nous, les confrères avocats de PME, qui voient leur clientèle appauvrie se tourner vers les experts-comptables (prestataires obligés avec lesquels elle sont déjà en contact) pour effectuer, bien , ou plutôt mal, des prestations juridiques ; et, hors barreau, ces juristes en entreprise qui sont empêchés d’opposer la règle de confidentialité aux négociateurs d’en face, souvent anglo-saxons, au grand dam de leurs employeurs.

On ne peut aisément contenter les premiers en leur accordant le droit de rejoindre une entreprise en demeurant dans le giron de notre profession. L’indépendance de notre statut fait mauvais ménage avec le lien de subordination. S’il était consulté, d’ailleurs, le MEDEF verrait sans doute d’un mauvais œil cette nouvelle catégorie de salariés protégés.

On ne peut pas non plus aisément conférer, ou plutôt laisser conférer (car les juristes d’entreprise proposent une modification de leur cru) aux seconds la seule confidentialité sans les contreparties ( à savoir l’indépendance).

En l’état, nous encourageons nos confrères avocats de petites ou de grosses structures à s’adapter au marché, en réduisant leurs dépenses, et par suite, le montant de leurs honoraires. De cette façon, se rendre plus attractifs.

Quelle vision avez-vous du "marché du droit" ? 

Sur les nouveaux métiers du droit, je suis réservée, pour plusieurs raisons. Soit que ces « métiers » dont la liste est longue et non limitative ne puissent concerner qu’un nombre très limité de professionnels (ex. mandataire droits d’auteur, un très petit marché), soit qu’ils touchent de trop près au commerce. Pour éviter les glissements, je propose qu’en cette matière soient soumises à l’agrément préalable du Bâtonnier les conventions d’honoraires fixe et résultat. Conventions dans lesquelles sera explicité le caractère « accessoire ». Je n’ai pas eu le temps matériel d’en débattre avec le Président de l’Association qui les représente, que je sais ouvert à la discussion.

Autre réserve : le mandataire fiduciaire, quid de la contre-garantie lorsque l’on sait que le mandataire répond de ses fautes de gestion ? Il est trop tôt en tout cas pour que la profession songe à mutualiser les risques.

En revanche, nous serions tout à fait à notre place comme mandataires en protection des personnes.

Et je redis que la priorité absolue est la préparation (lobbying, mise en place d’équipes de volontaires, liaison avec des sites dédiés, schéma financier associant la CARPA) de l’accompagnement des actions de groupe en matière de consommation et de banque. Nos compétences et notre expérience en montage de « plate-forme » font entrevoir que nous y excellerions. Ces actions représentent une mine d’or.

Sur les nombreux autres sujets, quelques aperçus : simplification du Bureau pénal, que je pratique comme référent ; attention soutenue portée aux jeunes avocats, réflexion commune à engager sur l’avenir de la Pépinière ou plutôt d’un lieu acheté, non loué, sur le modèle des Chambers.

Quelle doit être la place du barreau de Paris dans les institutions de la profession ?

C’est bien le CNB qui a vocation à représenter tous les avocats, ceux de Paris compris. Certes, la représentativité laisse à désirer. Cela fait mauvais effet et cette énergie dépensée à des querelles est perdue pour la cause commune. Au minimum,  sur chaque question importante, le président du CNB, celui de la Conférence des Bâtonniers et le Bâtonnier  de Paris, doivent se concerter de façon que le président du CNB expose seul, mandaté par tous, le point de vue de la profession aux instances telles que le ministère de la Justice et ait seul, comme mandataire, la signature des communiqués. Par "question importante" il faut entendre toute question dépassant les limites d’un barreau, susceptible de concerner l’ensemble de la profession.

Etes-vous favorable à l'interprofessionnalité ?

Ma position rejoint celle du CNB dans sa résolution du 12 avril 2014 : poursuivre les réflexions en s’assurant du respect de ce qui est l’ossature de notre profession, secret professionnel et indépendance.

Qu'avez-vous de plus que les autres candidats ?

Depuis quelques semaines, j’ai réalisé que je me préparais à cette charge depuis fort longtemps et  le fait que personne, dans mon entourage,  n’ait  semblé surpris, le confirme.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)

A propos

Avocat exerçant individuellement, spécialisé en droit des transports, écrit (directeur du Lamy Transports II 1988-1992) et enseigné quinze années. Plus de 50 séjours en Afrique australe, où se trouve la majorité de sa clientèle, tous dossiers de droit des affaires et des personnes. Travaillant en français et en anglais. Qui n’a pas dit non aux missions du Palais (référent pénal, gardes à vue, consultations en mairie, hospitalisations d’office).Membre des associations de droit maritime et aérien AFDM et SFDAS. Expert IFEJI, docteur ès lettres.

Site de campagne : http://batonnat-dor.paris/